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vendredi, avril 19, 2024
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Fraude sur les licences de pĂȘche

par admin

Membre Ă©minent du secteur de la pĂȘche depuis 35 ans environ, ancien directeur de la Sopasen, M. Adama Lam se prononce ici sur les implications et les enjeux de l’introduction de 56 navires de pĂȘche dans les eaux sĂ©nĂ©galaises, en violation, selon lui, de toutes les procĂ©dures et des rĂšgles rĂ©gissant le secteur. Il estime que si les choses ne sont pas corrigĂ©es rapidement c’est toute la pĂȘche sĂ©nĂ©galaise qui est condamnĂ©e Ă  disparaĂźtre Ă  moyen terme.

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Depuis un certain temps, le ton monte entre les organisations des pĂȘcheurs et leur ministĂšre de tutelle Ă  la suite de l’agrĂ©ment d’une cinquantaine de bateaux chinois. Pourquoi la situation actuelle est-elle plus grave que quand on a parlĂ© de bateaux russes, ou mĂȘme, de la mise en place d’usines Ă  farine de poisson ?

Votre question appelle d’abord la nĂ©cessitĂ© de bien camper le sujet pour permettre au lecteur de bien saisir la problĂ©matique. On dit que la rĂ©pĂ©tition est pĂ©dagogique.
Le Gaipes avait constatĂ© vers le mois de septembre 2019, des mouvements importants de navires chinois et turcs dans le port de pĂȘche au mĂŽle 10 du Pad, avec des dĂ©barquements de poissons divers dans des cartons sans aucune inscription, ce qu’on appelle des cartons neutres. Le Groupement s’est renseignĂ© et a obtenu une copie d’une licence d’un navire chinois portant une immatriculation sĂ©nĂ©galaise, avec sur la licence : PĂȘche demersale profonde, option poissonniers cĂ©phalopodiers. En professionnels de la pĂȘche, nous avions notĂ© que cette option n’existait pas dans le code de la pĂȘche, ni dans son dĂ©cret d’application et en plus, nous nous demandions si la sĂ©nĂ©galisation du navire Ă©tait conforme Ă  la loi. Pour en avoir le cƓur net, le Gaipes a saisi le ministĂšre chargĂ© des PĂȘches pour des Ă©claircissements.

C’est ainsi que Madame la ministre de l’époque a convoquĂ© une rĂ©union Ă©largie aux autres acteurs de la pĂȘche artisanale. AprĂšs confirmation de l’existence de cette licence «hors la loi» par le Directeur des PĂȘches Maritimes (Dpm) avec comme justificatif de cette dĂ©cision qu’un ministre  pouvait donner une licence qui n’était pas dans la loi, Mme la ministre a dĂ©cidĂ© de mettre en place une commission technique composĂ©e des professionnels industriels, pĂȘcheurs artisans et des techniciens du DĂ©partement des pĂȘches pour faire la lumiĂšre sur cette affaire. Je signale que lors de cette rĂ©union, l’Adminis­tration des pĂȘches ne voulait pas donner ou indiquait ne pas savoir le nombre exact de navires qui ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de ces licences illĂ©gales. Cette commission a tenu deux sĂ©ances et identifiĂ© 12 navires dont les licences sont jugĂ©es non conformes Ă  la loi. Cette commission n’a jamais demandĂ© la rĂ©gularisation de ces dossiers, et cela se comprend car le travail n’était pas exhaustif et terminĂ©.

Mme la ministre a Ă©tĂ© remplacĂ©e au DĂ©partement des pĂȘches au mois de novembre 2019 et les travaux de la commission ont Ă©tĂ© purement et simplement arrĂȘtĂ©s. Les acteurs de la pĂȘche artisanale et ceux de la pĂȘche industrielle ont alors saisi l’Ofnac pour signaler que de forts soupçons de corruption et de concussion pĂšsent sur la dĂ©livrance de ces licences dont on ne veut pas divulguer le nombre. 12 erreurs, c’est impossible Ă  croire pour des dossiers qui passent devant autant de professionnels qui gĂšrent les licences !
Au mois d’avril, en plein Etat d’urgence dĂ» au Covid 19, le directeur des PĂȘches maritimes a convoquĂ© une autre sĂ©ance de la Commission consultative d’attribution des licences de pĂȘches pour Ă©tudier Ă  domicile, 56 nouveaux dossiers de demandes de promesses de licences de bateaux chinois et turcs. Les membres de la commission devaient rĂ©pondre par oui ou non sur les dossiers, ce qui est contraire Ă  l’esprit de la commission dont les Ă©changes sont interactifs en tenant compte de l’avis du Crodt (Centre de recherches ocĂ©anographiques de Dakar-Thiaroye) sur la disponibilitĂ© des ressources halieutiques, presque toutes surexploitĂ©es ou en pleine exploitation. Bref, notre demande de report de la rĂ©union du fait du nombre de bateaux, du contexte de la pandĂ©mie, de la nĂ©cessaire rencontre avec le ministre de tutelle pour attirer son attention sur la gravitĂ© de la situation, a reçu une fin de non-recevoir. La presse est saisie pour alerter l’opinion.

Pour rĂ©pondre Ă  votre question, il m’a paru nĂ©cessaire de faire ce rappel, tellement la situation est inĂ©dite dans l’histoire halieutique de notre pays. 56 navires (dont 52 sont des Ă©trangers) Ă  Ă©tudier et on se rend compte qu’il y a dĂ©jĂ  56 autres bateaux dans la pĂȘcherie des eaux sĂ©nĂ©galaises. S’il est vrai que les 56 premiĂšres demandes ont Ă©tĂ© thĂ©oriquement rejetĂ©es ces derniers jours, le problĂšme reste entier avec 56 navires Ă©trangers ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© de licences de pĂȘche et de sĂ©nĂ©galisation. C’est le dĂ©sastre le plus important tant par le nombre que par les espĂšces effectivement ciblĂ©es et dĂ©barquĂ©es par ces bateaux (poissons des fonds moyens (thiofs, diarĂšgne, sompatte, etc.), poissons de surface (pĂ©lagiques : yaboy, diaye, weuyeung) dont vivent nos populations, et surtout espĂšces que cible aussi la pĂȘche artisanale. Les bateaux russes faisaient des incursions dans la pĂȘcherie avec l’accord secret de l’Etat et arrĂȘtaient leur intervention avec la pression des pĂȘcheurs sur les dĂ©cideurs. Mais cette fois-ci, ces bateaux chinois sont introduits de maniĂšre dĂ©finitive avec leur sĂ©nĂ©galisation non conforme aux lois de notre pays.

Cette question est aussi plus destructrice que les usines de farine de poisson parce que les navires pĂȘchent pour exporter sur le stock de poissons que la pĂȘche artisanale a l’habitude de capturer. Les usines de farine de poissons privaient nos populations de poissons, nos femmes transformatrices de matiĂšres premiĂšres et enfin incitaient Ă  une surexploitation des petits pĂ©lagiques, ce qui conduirait Ă  une grave crise alimentaire, mais le prĂ©lĂšvement devrait ĂȘtre fait par des pirogues si le gel des licences est respectĂ©.

Des informations contradictoires sont avancĂ©es en ce qui concerne l’état de la ressource halieutique. A qui selon vous, devrait-on se fier ?

L’avis de la recherche scientifique (Crodt) a Ă©tĂ© volontairement ignorĂ© en ce qui concerne l’introduction de ces navires dans le pavillon et la pĂȘcherie, avec Ă©videmment, la complicitĂ© de SĂ©nĂ©galais qui servent de prĂȘte-noms. Le faux prĂ©texte, c’est de dire que des campagnes d’évaluation directes des stocks de poissons n’ont pas Ă©tĂ© faites. Mais pourquoi elles n’ont pas eu lieu ? Parce qu’un avis du Crodt, qui s’appuie sur des constats physiques, dĂ©range. Les crĂ©dits budgĂ©taires qui ont Ă©tĂ© votĂ©s pour qu’il fasse son travail n’ont pas Ă©tĂ© mis Ă  sa disposition selon les informations reçues.

Je parle de faux prĂ©texte aussi parce que malgrĂ© cela, une Ă©valuation indirecte des ressources halieutiques par le Crodt est possible. La preuve, c’est que, saisi par le Gaipes au nom de la coalition des pĂȘcheurs, le Centre de recherche halieutique (Crodt) a Ă©mis un avis sans appel sur l’état dĂ©sastreux des stocks de poissons pour la plupart des pĂȘcheries. L’avis du Crodt est fondamental pour la possibilitĂ© de donner ou non des licences de pĂȘche. Mais, mĂȘme en dehors du principe de prĂ©caution qui recommande la prudence en matiĂšre de ressources Ă©puisables, comment comprendre que l’on interdise l’immatriculation de nouvelles pirogues en faveur de la pĂȘche artisanale, que l’on interdise l’immatriculation de nouveaux bateaux par les industriels sur la pĂȘche dĂ©mersale cĂŽtiĂšre, que l’on mobilise dans un projet de l’Etat des fonds pour la destruction de navires sĂ©nĂ©galais afin de rĂ©duire l’effort de pĂȘche, pour ensuite donner 56 licences de pĂȘche Ă  des navires Ă©trangers faussement sĂ©nĂ©galisĂ©s ! Le comble, c’est que l’on commence par donner les licences sur un segment de pĂȘche qui n’existe pas dans la loi, qu’on «rĂ©gularise» sur la base de promesses de licences non conformes aux textes lĂ©gislatifs, et qui plus est, sur un stock inexistant ! Tout cela est fait sciemment et des navires Ă©trangers ĂŽtent le pain de la bouche des pĂȘcheurs et des consommateurs sĂ©nĂ©galais.

Le vrai dĂ©bat n’est pas sur une question de nationalitĂ©, de couleur de peau ou de stigmatisation d’un pays. Ce sont des ressources nationales rĂ©gies par des lois et rĂšglements et qui de surcroit, nourrissent nos populations parce qu’étant directement comestibles, contrairement au pĂ©trole et au gaz. Alors pourquoi tant de dĂ©sintĂ©ressement vis-Ă -vis de ce qui fait le ciment social de notre Nation et qui plus est, la nourrit ?

N’existe-t-il pas de cadre de concertation entre les diffĂ©rents acteurs de la pĂȘche ?

Vous avez raison de poser cette question tellement la contradiction est frappante avec la multitude d’organisations bien structurĂ©es dans le secteur de la pĂȘche. Les acteurs ont toujours eu des cadres de concertations mais nous constatons qu’à chaque fois qu’il y a une crise majeure, on essaie d’opposer la pĂȘche artisanale, toutes composantes confondues, Ă  la pĂȘche industrielle. Ces entitĂ©s sont effectivement les grandes branches du secteur de la pĂȘche maritime. Le but est connu : diviser pour mieux brader la ressource ! Un pays comme le SĂ©nĂ©gal a besoin de sa pĂȘche artisanale, de sa pĂȘche industrielle et des acteurs connexes.

Quand le DĂ©partement des pĂȘches a besoin des acteurs, il sait oĂč les trouver car sur ce dossier, les principaux acteurs parlent d’une mĂȘme voix dans le cadre de la coalition mise en place et qui continuera d’exister quelles que soient les solutions trouvĂ©es. Les ministres passent et laissent toujours en place les acteurs et les ressources halieutiques. La rengaine est la mĂȘme, faute d’arguments crĂ©dibles : c’est le Gaipes qui dĂ©truit la mer, c’est le Gaipes qui embarque la pĂȘche artisanale (pourtant trĂšs mature) sur des chemins tortueux, c’est le Gaipes qui met les bĂątons dans les roues des ministres des PĂȘches. Pourtant, Messieurs Sadibou Fall, Djibo Ka (paix Ă  son Ăąme), Souleymane NdĂ©nĂ© Ndiaye, Mme Aminata Mbengue, aucun de ces ministres n’a eu des divergences profondes avec les pĂȘcheurs. Il faut donc chercher l’erreur ailleurs ! Le Gaipes ne fait que s’inscrire dans l’objet de sa crĂ©ation, comme tout syndicat : dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts matĂ©riels et moraux de la profession.

Pour dialoguer, il faut ĂȘtre deux au moins. Le DĂ©partement des pĂȘches semblerait ignorer, Ă  moins que je ne me trompe, les instructions du chef de l’Etat demandant une large concertation avec tous les acteurs, dans le respect des textes en vigueur. En effet, si on ne discute pas avec ceux qui sont membres de la coalition oĂč tous les acteurs qui contestent les dĂ©cisions sont reprĂ©sentĂ©s, c’est qu’on ne veut pas trouver une solution.

De deux choses hypothĂ©tiques l’une, en souvenir de mon passage dans l’Administration : la tutelle a reçu des instructions fermes de donner des licences de pĂȘche. Si cela est exact, la mise en Ɠuvre ne peut s’opĂ©rer que dans le respect des textes en vigueur, comme aimait le rappeler feu Jean Collin (Que la terre lui soit lĂ©gĂšre) lorsqu’il transmettait des instructions prĂ©sidentielles. C’est cela l’esprit d’une administration rĂ©publicaine. En effet, comment des promesses de licences de pĂȘche valables 6 mois et renouvelables une seule fois, peuvent-elles ĂȘtre renouvelĂ©es en 2018, en 2019 et validĂ©es en 2020 ! Et l’autoritĂ© nous dit que je n’ai signĂ© que des renouvellements de licences sur la base des promesses. Eh bien, c’est de l’illĂ©galitĂ© que l’on essaie de faire passer en se dĂ©douanant par la continuitĂ© du service public et la solidaritĂ© gouvernementale. Ces 56 licences de pĂȘche, pour la plupart, sont nulles et non avenues au regard des lois de notre pays (caducitĂ© de la promesse, pas de passage obligĂ© Ă  la Commission d’attribution des licences, etc.), et de surcroit sur une ressource inexistante (le merlu). Ce procĂ©dĂ© Ă©tait simplement une porte d’entrĂ©e pour taper sur les dĂ©mersaux et le pĂ©lagique cĂŽtier. Laisser pourrir la situation pour espĂ©rer une lassitude des acteurs semble ĂȘtre la stratĂ©gie. Les vrais acteurs sont dĂ©terminĂ©s mais ouverts au dialogue. Ils ne sont pas des adversaires, encore moins des ennemis ou des «va-t’en guerre». MĂȘme les guerres mondiales ont fini autour d’une table de nĂ©gociation et on est trĂšs loin de cette situation.
L’autre : la tutelle prendrait ses propres responsabilitĂ©s ou s’appuierait sur les services techniques qui l’ont induit en erreur, en validant et en dĂ©livrant des licences de pĂȘche sur le stock de demandes non conformes. La prudence aurait dĂ» ĂȘtre observĂ©e tant pour le dĂ©marrage d’une carriĂšre ministĂ©rielle que pour le respect des textes de loi, d’autant que l’essentiel des 56 licences est supposĂ© ĂȘtre dĂ©livrĂ© sur un stock de 3 000 tonnes, soit une pĂȘche de 2 mois par annĂ©e et par bateau. C’est hallucinant aussi bien pour l’épuisement programmĂ© de cette ressource que pour la rentabilitĂ© Ă©conomique et financiĂšre desdits bateaux. Cela veut dire, en rĂ©alitĂ©, qu’on permet Ă  ces navires de faire des activitĂ©s en violation de leur licence de pĂȘche. C’est une faute grave (art 125, alinĂ©a f du code de la pĂȘche).

En tant que SĂ©nĂ©galais, certes novice dans la chose politicienne, il me semble que l’une ou l’autre de ces hypothĂšses desservirait profondĂ©ment les actions de M. le prĂ©sident de la RĂ©publique en matiĂšre de pĂȘche car, 56 navires qui pĂȘchent en majoritĂ© dans les 12 miles, c’est-Ă -dire sur le stock de dĂ©mersaux, en plus de l’effort de pĂȘche existant, c’est condamner irrĂ©mĂ©diablement toute la pĂȘche maritime Ă  l’arrĂȘt Ă  plus ou moins long terme. Les captures dĂ©barquĂ©es sont passĂ©es en 3 ans, de 400 000 Ă  450 000 tonnes, puis environ 525 000 tonnes. Ces statistiques parlent d’elles-mĂȘmes et les dĂ©barquements des produits capturĂ©s dans les pays limitrophes sont effectuĂ©s sur ce stock transnational. La bonne question, c’est dans combien de temps il n’y aura plus une Ă©caille dans nos eaux maritimes. Tous les efforts consentis pendant des dĂ©cennies par l’Etat, les communautĂ©s de pĂȘcheurs, les bailleurs de fonds seraient annihilĂ©s.

De l’autre cĂŽtĂ©, «ventre vide n’a pas d’oreilles», dit l’adage. Laisser pourrir la situation c’est faire le lit d’une dĂ©gradation profonde des conditions de vie des pĂȘcheurs et des populations Ă  faible revenu qui, d’une part, trouvent dans la pĂȘche une activitĂ© refuge durant les temps de soudure, d’autre part, affaiblit l’apport en protĂ©ines des populations. DĂ©velopper une perspective d’émergence suppose un climat social apaisĂ© sur un secteur retenu dans les grappes de croissance, comme secteur prioritaire.

Pourquoi alors ce dialogue de sourds, et comment pourrait-on y mettre fin ?

Le dialogue de sourds est introduit par la tutelle, Ă  mon avis. Les professionnels du secteur privĂ© demandent le respect des lois et la sauvegarde de leur outil de travail et la tutelle rĂ©pond par une personnalisation du dĂ©bat autour de personnes dont le seul tort est d’ĂȘtre des dirigeants d’un syndicat patronal. Tout y passe : accusation de chantage, monopole inexistant, club de «richards», sĂ©grĂ©gation, alors que le Gaipes compte dans ses membres des partenaires chinois, corĂ©ens, espagnols, français et tutti quanti. La propre personne de ces acteurs, certes importants, n’intĂ©resse pas le commun des SĂ©nĂ©galais. C’est Ă  croire qu’on n’est plus dans une RĂ©publique et que le fait d’ĂȘtre un industriel qui a honnĂȘtement rĂ©ussi est une tare ! Tout le monde sait que mĂȘme le bonnet de la tutelle est plus important que ces messieurs. S’il leur arrivait de le piĂ©tiner par inadvertance, ils ne passeraient pas la nuit chez eux ! Un ministre, c’est le dĂ©membrement du prĂ©sident de la RĂ©publique et sa posture doit s’inscrire dans la grandeur de cette fonction. En tous cas, moi je sais ce qu’est la dimension de la charge de ministre de la RĂ©publique pour avoir passĂ© dix ans dans l’Administration sĂ©nĂ©galaise. Il faudrait que certains comprennent qu’ils sont parmi les meilleurs parce que choisis par le chef de l’Etat mais nous tous rĂ©unis, nous sommes bien meilleurs qu’eux. Ce rappel Ă©tait un viatique pour les princes du Sine fraĂźchement intronisĂ©s.

Le vrai dĂ©bat posĂ© est, je le rappelle : combien de licences ont Ă©tĂ© accordĂ©es en 2018, 2019, 2020, par qui et sur quel segment de pĂȘche ? Quel est l’effort de pĂȘche que les diffĂ©rentes ressources peuvent supporter ? Les «sĂ©nĂ©galisations» des navires sont-elles adossĂ©es sur le respect des lois ? Comment relancer le secteur de la pĂȘche en cette pĂ©riode de pandĂ©mie et de post pandĂ©mie ?

Pour mettre fin Ă  ce blocage, il faudrait, Ă  mon avis, que l’autoritĂ© reprenne la main sur ce dossier et Ă©coute les rĂ©criminations des vrais acteurs, sans exclusive. Il y a une petite nuance entre une tutelle et une autoritĂ© directe. Un facilitateur, et beaucoup de bonnes volontĂ©s se sont offertes, pourrait favoriser le rapprochement. En Ă©coutant les acteurs, je note que la plupart des organisations dĂ©plorent ce qu’elles considĂšrent comme un manque de respect de la part de la tutelle. Certains affirment, qu’en plus de les infantiliser comme Ă©tant Ă  la remorque du Gaipes, des courriers sont adressĂ©s au DĂ©partement des pĂȘches sans mĂȘme un accusĂ© de rĂ©ception, a fortiori traiter les questions qui sont posĂ©es. Le Gaipes souligne qu’au moins 3 courriers adressĂ©s au DĂ©partement de tutelle, bien avant la crise, sont restĂ©s sans rĂ©ponse.

Par ailleurs, les rumeurs les plus folles circulent dans le milieu de la pĂȘche au point d’indisposer et d’affliger tout le monde. Vrai ou faux, beaucoup d’acteurs penseraient que ce serait une vraie machine de fraude sur les licences qui se serait installĂ©e dans l’Administration des pĂȘches avec la complicitĂ© de certaines autoritĂ©s et fonctionnaires, par le biais d’officines parallĂšles. Aucun cadre ou directeur de L’Administration, directement concernĂ© par ce dossier, ne veut Ă©clairer la lanterne des acteurs sur les dossiers de sĂ©nĂ©galisation et les licences de pĂȘche incriminĂ©es, malgrĂ© des saisines par voie d’huissier. Quelle est la bonne information ? Si publier la liste des navires qui pĂȘchent dans nos eaux est un secret d’Etat, cela accrĂ©dite de plus en plus ces rumeurs qui n’honorent personne ! Cette liste est d’utilitĂ© publique et devrait ĂȘtre accessible Ă  tous les citoyens et mĂȘme aux Ă©trangers dĂ©sireux d’investir dans notre pays. L’Etat doit nĂ©cessairement Ă©clairer ses citoyens sur ces vraies ou fausses «affaires». Les pĂȘcheurs ont l’habitude de dire que le poisson pourrit par la tĂȘte et j’espĂšre que les acteurs Ă©chapperont Ă  cette maxime.

En un mot la confiance est rompue et profondĂ©ment, mĂȘme si je reconnais qu’il est toujours temps de bien faire malgrĂ© le fait d’un dĂ©partement ministĂ©riel trĂšs technique, complexe, vital pour l’économie et la cohĂ©sion sociale. Il faudrait la reprise des travaux de la commission technique ou tout autre organe paritaire, capable de disposer de l’ensemble des dossiers objets du diffĂ©rend, de retenir les licences qui sont en conformitĂ© avec la loi et les recommandations du Crodt. Les navires qui sont hors la loi devraient sortir de la pĂȘcherie tant qu’ils ne rĂ©pondent pas aux critĂšres d’exercice dĂ©finis par le code de la pĂȘche et celui de la marine marchande. Les SĂ©nĂ©galais complices de ces forfaits doivent ĂȘtre remis sur le droit chemin. Il est quand mĂȘme paradoxal, malgrĂ© que la loi ne le prĂ©voit pas, que la tutelle rĂ©clame des bilans comptables de sociĂ©tĂ©s existantes depuis plus de 30 ans pour renouveler leur licence de pĂȘche et que cette mĂȘme tutelle ne sente pas obligĂ© de vĂ©rifier que des bĂ©nĂ©ficiaires de licences ne sont pas de simples bĂ©nĂ©ficiaires de commissions. Que je sache, l’autoritĂ© elle-mĂȘme serait parfaitement outillĂ©e pour dĂ©mĂȘler cette situation qui est dĂ©criĂ©e comme Ă©tant des actes de prĂȘte-noms pour certains tout au moins, par la simple lecture de leurs Ă©tats financiers. Tout le monde sait qui est qui dans le port de pĂȘche.

Si rien n’est fait pour rĂ©soudre cette crise, comment se prĂ©sentent pour vous, les perspectives du secteur de la pĂȘche

A mon avis, le temps nous est comptĂ©. D’abord l’incertitude du Covid rend difficile toute projection sur le devenir de la pĂȘche, fortement touchĂ©e par les consĂ©quences de la pandĂ©mie. Les pĂȘcheurs, les mareyeurs, les femmes transformatrices, les transporteurs et tous les mĂ©tiers connexes vivent dans de graves difficultĂ©s cachĂ©es par la sauvegarde de leur dignitĂ©. La plupart des acteurs vivent de la sueur de leur travail et l’inquiĂ©tude se lit facilement sur leur visage, malgrĂ© les sourires accueillants et les attitudes taquines qui caractĂ©risent les acteurs.

Si rien n’est fait, ou du moins si ces navires ne sont pas sortis de la flotte, ce sera la fin irrĂ©mĂ©diable de la pĂȘche. C’est simplement une question de temps. Ce n’est pas pour faire peur, ĂȘtre alarmiste ou encore ĂȘtre un oiseau de mauvais augure. Une catastrophe sans prĂ©cĂ©dent est en train de s’installer dans la gestion des ressources halieutiques.
Pour s’en convaincre, il suffira de demander aux chercheurs dont la science est reconnue, de dĂ©velopper un modĂšle bioĂ©cologique et mĂȘme bioĂ©conomique sur les impacts des 56 licences accordĂ©es Ă  ces navires Ă©trangers.

Il faudrait que ceux qui ont les destinĂ©es de notre Nation Ă  quelque niveau que ce soit prennent la tempĂ©rature de la situation et agissent en consĂ©quence. L’ennemi principal, c’est le temps durant lequel les ressources halieutiques sont actuellement agressĂ©es. Ces licences auraient Ă©tĂ© dĂ©criĂ©es mĂȘme si les bateaux appartenaient Ă  100% Ă  des SĂ©nĂ©galais. La contrainte, c’est la disponibilitĂ© de la ressource halieutique.

Si rien n’est fait, la prĂ©caritĂ© s’installera de maniĂšre importante dans le secteur de la pĂȘche et cela impactera trĂšs profondĂ©ment le tissu Ă©conomique et social du pays.
Si rien n’est fait, le SĂ©nĂ©gal continuera de perdre des emplois directs et indirects dans le secteur de la pĂȘche avec des fermetures d’entreprises et par ricochet, dans les industries qui sont les fournisseurs des unitĂ©s de traitement de poissons et des armements Ă  la pĂȘche. Si rien n’est fait, le TrĂ©sor public ne bĂ©nĂ©ficiera pas des rentes Ă©conomiques et financiĂšres que gĂ©nĂšre la pĂȘche.

Enfin, et je pourrais continuer Ă  Ă©numĂ©rer les nombreux inconvĂ©nients induits par cette dĂ©cision de mettre 56 navires dans la pĂȘcherie. Le SĂ©nĂ©gal paiera un lourd tribut en voulant s’inscrire de maniĂšre aussi peu structurĂ©e, en termes de choix gĂ©opolitique, dans le projet de Bri (Belt and Road Initiative) de la Chine. Nous devrions tous Ă©viter de nous livrer pieds et poings liĂ©s aux puissances de ce monde, au dĂ©triment de notre propre survie en tant qu’Etat et Nation.

Je pense que c’est une dĂ©marche citoyenne qui incombe Ă  chacun d’entre nous de faire le maximum pour que le droit soit dit sur cette affaire. On ne peut violer de maniĂšre aussi flagrante le code de la pĂȘche, notamment sur le caractĂšre de patrimoine national de la ressource halieutique (art 3), sur la concertation avec les organisations patronales (Art 5), sur la cogestion (art 6), sur l’avis obligatoire de la Ccalp (art 35) et espĂ©rer gĂ©rer le secteur au profit de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. La pĂȘche n’est certes qu’un maillon de l’économie maritime mais elle est primordiale si j’en juge par la prĂ©sĂ©ance dont elle bĂ©nĂ©ficie dans l’appellation du ministĂšre. La pĂȘche, c’est fondamentalement le pĂȘcheur, le poisson et son Ă©cosystĂšme. On ne peut pas ignorer le premier et occulter la capacitĂ© de l’offre du second et tendre vers une gestion efficiente du secteur. La mer ne peut donner plus qu’elle n’a et elle appartient Ă  toute la nation. Les acteurs ne sont que des exploitants par dĂ©rogation encadrĂ©e par la loi. Enfin, un rĂ©publicain ne perd jamais la face quand il s’agit d’exĂ©cuter une dĂ©cision conforme aux lois votĂ©es par le Peuple, pour le Peuple.

Pour terminer, personne ne pourra dire que je n’étais pas au courant ou que je ne savais pas la gravitĂ© de la situation. En ce qui me concerne, Ă  70 ans et sans aucune prĂ©tention, je continuerai Ă  m’investir dans toutes les actions tendant Ă  raffermir la justice sociale, Ă  Ɠuvrer pour que mon pays soit un havre de paix, de prospĂ©ritĂ©, de dignitĂ©, d’accueil de l’autre, dans le respect de nos lois.

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