Home ActualitésSociété Etat d’urgence et couvre-feu: c’est le relâchement en banlieue…

Etat d’urgence et couvre-feu: c’est le relâchement en banlieue…

par pierre Dieme
0 comment

Le temps où on vivait avec la peur d’être attaqué par le coronavirus est-il derrière nous ? La question mérite d’être posée. En tout cas, dans les quartiers de la banlieue dakaroise visités par votre serviteur, l’heure n’est plus au port du masque généralisé encore moins au respect de la distanciation sociale et autres gestes barrières. Les bonnes vieilles habitudes d’antan ont repris le dessus ! 

Nous sommes à la cité Aliou Sow de Fass Mbao. Trouvé dans sa boutique en cette matinée du dimanche 31 mai, Ibrahima, un commerçant d’origine guinéenne regrette que ses clients ne prennent plus la maladie au sérieux malgré le dispositif de prévention qu’il a mis à l’entrée de son magasin. « Vous voyez que j’ai installé ma petite bassine, ma bouilloire et mon savon à l’entrée de la boutique. Avant, tout client se lavait les mains avant de franchir le seuil de mon commerce. Mais, depuis quelques jours, j’ai constaté un relâchement de la part de mes clients. Les gens ne se lavent plus les mains. Même le port du masque n’est plus respecté comme avant » regrette-t-il. Dans la même rue de cette cité nichée entre la forêt classée de Mbao et la caserne de gendarmerie de la LGI, Cheikh Ba tient un atelier de tailleur. 

Ce quarantenaire de taille moyenne et de teint clair, dit recevoir chaque jour au moins cinq clients. C’est pourquoi, indique-t-il, « je n’ai pas de sentiments par rapport au port du masque. Dès que quelqu’un se présente, je lui impose de le mettre si non je ne le reçois pas. D’ailleurs, j’ai mis une affiche à l’entrée pour informer les clients » fait-il savoir. Il ajoute avoir constaté chez les citoyens un relâchement qu’il ne saurait expliquer. Pour constater la véracité de ses propos, nous avons fait un tour dans la cité où notre tailleur est établi. Effectivement, dans chaque rue, nous avons trouvé des jeunes insouciants, certains se permettant même de jouer au « petit camp », c’est-à-dire au football, en faisant fi du moindre respect des gestes barrières édictés par les autorités sanitaires. 

Autre commune visitée, celle de Tivaouane Diack Sao dans le département de Pikine. Nous sommes à Wakhinane, un quartier très populeux de la banlieue. A quelques mètres de l’arrêt de bus, nous entrons dans un magasin multi-services. Le gérant du nom de Abdoulaye Ba alias « Cri » est un cinquantenaire très connu dans la localité. Masque bien serré au visage, il reçoit des clients sans interruption. Et à chaque fois qu’il touche des billets de banque, il se frotte les mains avec du gel hydroalcoolique. Pourtant, parmi les clients trouvés sur place, rare sont ceux qui se sont protégé le visage. Interpellé sur cette violation, un jeune garçon nous répond en ces termes : « cette maladie ne me fait plus peur. Je doute même de son existence. Voyez-vous, on nous avait annoncé à plusieurs reprises des cas à Diamaguene. Mais jusqu’à présent, personne ne peut indiquer les maisons où habitent les cas déclarés ».  A notre sortie du magasin de « Cri », cinq personnes assises sur un banc, à côté d’un cordonnier, discutent comme si on ne vivait pas dans une période de pandémie. Aucun port de masque encore moins respect de la distance réglementaire n’est constaté. 

A dix minutes de marche de là, nous voilà à la frontière entre les quartiers Wakhinane et Diack-Sao 2. Un groupe de personnes trouvées en face d’une mosquée est en pleine discussion sur le retard apporté à la distribution des kits alimentaires offerts par le gouvernement. Ici au moins, les gestes barrières sont respectés. En plus de la distanciation physique requise, chacun est muni de son masque. El Hadj Athie, conseiller à la mairie de la commune, se dit exigeant à propos de cet acte qu’il qualifie de citoyen. « Nous sommes un groupe d’amis d’enfance. Depuis des années, nous nous retrouvons ici tous les jours pour discuter et maintenir nos relations d’amitié. Mais franchement, depuis le début de la pandémie, nous tenons au respect strict des mesures barrières. Il m’arrive même d’interpeller des personnes pour les obliger à mettre le masque » explique El Hadj Athie. Cette façon de voir est loin d’être partagée par un adolescent moins âgé mais aussi moins prévoyant face à la situation sanitaire qui ne le dérange aucunement. Assis avec ses amis au coin d’une rue, il dit être blindé contre le coronavirus. C’est pourquoi, il ne va rien changer de sa vie habituelle. 

Ça joue au foot dans les quartiers comme si de rien n’était…

Photo prise lundi 1er juin à Pikine Guinaw Rails
Photo prise lundi 1er juin à Pikine Guinaw Rails
Dans ces deux quartiers de la banlieue visités, ce que l’on voit fait froid au dos. Le spectacle est même surréaliste. Alors que la région de Dakar demeure encore l’épicentre de la pandémie enregistrant les trois quarts du nombre de personnes infectées au plan national, on y assiste, notamment dans la banlieue de Pikine, à des scènes qui relèvent de l’indiscipline sanitaire. A la cité Alioune Sow de Fass Mbao, le terrain de foot est pris d’assaut par des dizaines de jeunes en ce dimanche 30 mai. Insouciants face à la gravité de l’heure liée à l’augmentation des cas de covid-19, ils s’adonnent à leur sport favori, foulant au pied toutes les restrictions pouvant aider à éviter la propagation de la maladie. Aux alentours du terrain, d’autres groupes de jeunes jouent aux supporters. On se tapote par-ci, applaudit de temps à autre pour apprécier les belles prouesses techniques réalisées sur le terrain. 

Parmi eux, Matar, la vingtaine, dit ne plus croire à l’existence de la maladie. C’est pourquoi, indique-t-il, « nous ne pouvons plus continuer à rester à la maison. On était confinés depuis deux mois mais ça, c’est fini. La vie va reprendre et personne ne peut nous empêcher de mener nos activités habituelles. Il y a trop de bruit autour de cette maladie qui n’existe que dans l’imagination » lance ce jeune homme sous les applaudissements très nourris de ses amis qui semblent partager son point de vue. Tout ceci sous le regard parfois impuissant de quelques personnes plus âgées habitant la cité. C’est le cas de ce père de famille qui ne trouve pas de mots suffisamment durs pour exprimer ce qu’il ressent face à ce relâchement. « C’est vraiment malheureux. Je me demande comment des parents peuvent-ils laisser leurs enfants sortir des maisons en cette période de pandémie où tout le monde est exposé » se désole-t-il. 

Pourtant, dans cette même localité, des jeunes plus conscients se sont organisés pour jouer leur partition dans la lutte contre la covid19. Pour cela, ils ont confectionné des banderoles déployées à chaque coin de rue pour sensibiliser les personnes à mettre des masques et respecter les gestes barrières. A moins de deux kilomètres de là, le décor que nous avons trouvé dans la commune de Tivaouane Diack-Sao est presque le même. Sur la grande avenue qui se trouve au coeur du quartier de Wakhinane et qui sert de terrain de football, nous avons trouvé une marée de jeunes. Ici, l’inconscience et l’insouciance sont les choses les mieux partagées. On aurait pensé vivre dans une période post covid 19. 

Pourtant, c’est dans le quartier d’à coté, à Diamaguène plus précisément, que des cas positifs ont été signalés ces derniers jours. Mais malgré cela, ces jeunes semblent plus préoccupés par des retrouvailles entre amis à travers des jeux sportifs plutôt que de rester confinés à la maison le temps de voir la chaîne de propagation maîtrisée. Chez les parents interrogés, la plupart se désolent du niveau d’entêtement de leurs enfants. « Cette situation me dépasse. Regardez ces dizaines de jeunes, personne d’entre eux n’a mis son masque. Il suffit que quelqu’un soit porteur du virus pour que tout ce beau monde soit contaminé. Et si chacun rentre chez lui, c’est toute sa famille qui va contacter le virus » confie le vieux Ousmane, l’air très préoccupé. 

Pour lui, il est temps qu’une solution soit trouvée dans les plus brefs délais pour parer à la catastrophe qui guette le quartier. Promis-juré, « nous allons informer la police la prochaine fois. Il suffit que deux ou trois personnes soient arrêtées pour que les autres ne soient plus tentés de jouer au foot en cette période » dit-il. En cette période de pandémie où la région de Dakar enregistre le plus grand nombre de cas, l’heure devait être à une meilleure prise de conscience des populations. Hélas, en lieu et place d’une intensification du respect des gestes barrières, c’est un relâchement généralisé qui est constaté au niveau de nos concitoyens, particulièrement en banlieue… 

Le Témoin

You may also like

Newsletter

Articles récentes

@2024 – tous droit réserver.