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jeudi, avril 18, 2024
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Des décrets nuls et de nul effet

par pierre Dieme

Macky Sall ne se presse guère et maintient intact le suspense sur le futur locataire de la Primature. 8 mois après la restauration du poste de Premier ministre, Macky Sall a installé le Sénégal dans un vide institutionnel, unique dans les annales du monde

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Macky Sall ne se presse guère et maintient intact le suspense sur le futur locataire de la Primature. Huit mois après la restauration du poste de Premier ministre, Macky Sall a installé le Sénégal dans un vide institutionnel, unique dans les annales du monde. Seulement au cours de ces huit mois, tous les actes notamment les décrets signés et devant être contresignés par le Premier ministre sont nuls et de nul effet.

Depuis son accession à la souveraineté internationale, le Sénégal a connu 13 Premiers ministres. Il s’agit successivement de Mamadou Dia (18 mai 1960 -18 décembre 1962) qui fut plus précisément président du Conseil de gouvernement, Abdou Diouf (26 février 1970-31 décembre 1980), Habib Thiam (1er janvier 1981-3 avril 1983, 08 avril 1991-03 juillet 1998), Moustapha Niass (03 avril 1983-29 avril 1983, 05 avril 2000- 03 mars 2001), Mamadou Lamine Loum (03 juillet 1998-05 avril 2000), Mame Madior Boye (03 mars 2001-04 novembre 2002), Idrissa Seck (04 novembre 2002-21 avril 2004), Macky Sall (21 avril 2004-19 juin 2007), Cheikh Hadjibou Soumaré (19 juin 2007-30 avril 2009), Souleymane Ndéné Ndiaye (30 avril 2009-05 avril 2012), Abdoul Mbaye (06 avril 2012-1er septembre 2013), Aminata Touré (1er septembre 2013-06 juillet 2014) et Mouhammed Dionne (06 juillet 2014-14 mai 2019). Le poste instauré dans un régime semi présidentiel a été supprimé à trois reprises. D’abord après la crise politique de 1962 ayant opposé le président Léopold Sédar Senghor à son alors très puissant président du Conseil Mamadou Dia, ensuite au début des années 1980 sous le régime du président Abdou Diouf et enfin en mai 2019 sous Macky Sall.

En effet, au lendemain de sa reconduction à la magistrature suprême du pays en février 2019, Macky Sall, pour favoriser une gouvernance en mode «fast-track», avait décidé de supprimer le poste de Premier ministre, occupé alors par Mohammed Boun Abdallah Dionne. Le projet de loi portant suppression du poste a été ainsi adopté par une large majorité le 4 mai 2019. Hélas, non seulement cette décision de supprimer le poste de Pm n’eut pas l’effet escompté mais le chef de l’Etat se retrouva plus que jamais seul et isolé surtout pendant les émeutes de mars 2021.

Les émeutes de mars ou le réveil brutal du chef

Pendant ces émeutes occasionnées par l’arrestation du principal leader de l’opposition, Ousmane Sonko, impliqué dans une sordide affaire présumée de mœurs et qui ont mis le pays à feu et à sang trois jours durant, le président Macky Sall ne pouvait pas s’appuyer sur un lieutenant pour monter au créneau et servir de fusible au besoin. Il était seul, isolé et devait lui-même monter au créneau pour réparer les bourdes de ses ministres dont les interventions maladroites avaient contribué à mettre de l’huile sur le feu. Il aura fallu quelques jours à Macky Sall, face aux pressions multiples des guides religieux et de la société civile, pour monter au front et désamorcer la bombe en disant «comprendre» sa jeunesse. Toujours est-il que la première leçon tirée par le chef de l’Etat de ces évènements fut assurément l’absence déplorable d’un Premier ministre pour se mettre au premier plan en période de crise et offrir des voies de sortie à son mentor.

Restauration du poste de Pm en mode Fast-Track

Si le président Macky Sall n’a pas réussi à impulser une dynamique fast-track à son équipe dans la conduite des affaires publiques, il n’en a pas été de même pour la restauration du poste de Premier ministre pour laquelle il a véritablement accéléré la cadence. Prenant le prétexte de sa présidence de l’Union africaine, supposée lui prendre beaucoup de temps et d’énergie pour la résolution des multiples conflits qui déchirent le continent, Macky Sall a donc restauré cette fonction. La nomination du nouveau titulaire du poste devait intervenir après les élections locales de janvier dernier. Le projet de loi portant restauration du poste de Premier ministre, donc, était passé d’abord en Commission des lois le vendredi 03 décembre 2020 avant d’être adopté en plénière le 10 décembre suivant par 92 voix pour, 2 contre et 8 abstentions. Selon l’exposé des motifs du projet portant révision de la Constitution, « le changement de paradigme, récemment intervenu au plan de la gouvernance de l’Etat, consécutivement à l’institutionnalisation des politiques publiques et l’émergence d’une culture de gestion axée sur le développement, recommande une rationalisation de l’exercice des attributions ministérielles, par un réaménagement de la structure du gouvernement. (…). Pour prendre en compte les impératifs de relance de l’économie nationale et d’une meilleure coordination de la mise en œuvre des politiques publiques, il est apparu nécessaire de restaurer le poste de Premier ministre. Ce dernier se voit assigné, par la Constitution, d’une mission de coordination de l’action gouvernementale, sous l’autorité du président de la République ».

Un long suspense de plus de 8 mois

Aussitôt son projet de loi portant restauration du poste de Premier ministre adopté, le président Macky Sall se penche sur les élections locales et territoriales de janvier 2022 qui avaient caractère de référendum pour ou contre une troisième candidature selon son stratège et non moins ministre d’Etat, directeur de cabinet, Mahmout Saleh. Le poste de Premier ministre devait donc attendre donc la fin de ces élections pour connaître son titulaire. Malheureusement, les résultats désastreux enregistrés par la mouvance présidentielle dans les principales villes du pays tombées dans l’escarcelle de l’opposition ont mis en veilleuse le projet du président de la République de nommer un nouveau Premier ministre juste après les locales comme il l’avait annoncé lui-même. Depuis lors, le suspense dure. Macky Sall n’est nullement pressé et la déculottée de ses troupes lors des élections législatives du 31 juillet 2022 qui a vu la mouvance présidentielle perdre sa majorité absolue n’est pas de nature à convaincre le Président de presser le pas. Au contraire, cette contreperformance ajoute à son indécision. Résultat : cela fait maintenant plus de 8 mois que le suspense dure et que le Sénégal n’a toujours pas de Premier ministre et est gouverné par une équipe qui expédie les affaires courantes.

Des décrets nuls et de nul effet dans l’ordonnancement juridique du pays

Du point de vue juridique, les actes posés par le chef de l’Etat continuent d’alimenter les débats. Si certains juristes estiment que le «Président erre en droit» en ne procédant pas à la nomination d’un Premier ministre 8 mois après l’adoption du projet de loi restaurant le poste, d’autres soutiennent qu’il n’est assujetti à aucune contrainte juridique ou temporelle pour installer quelqu’un au poste. Et la loi non abrogée sur la CREI adoptée en 1981 sous le Président Abdou Diouf et appliquée en 2013 sous Macky Sall semble être l’un des points de défense en faveur de l’actuel locataire du Palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor. Ce même si les textes législatifs et/ou réglementaires, une fois adoptés, doivent être, en principe, respectés et appliqués. Selon un juriste interpellé par nos soins, « le Président n’est pas enfermé dans des délais pour nommer un Premier ministre. En d’autres termes, il pouvait le faire dans quelques jours, un mois voire une année. Cela relève de son pouvoir discrétionnaire. Le problème se pose au niveau des actes qui doivent être contresignés par le Premier ministre qui pourraient être considérés comme illégaux » explique notre interlocuteur. En effet, il y a des dispositions constitutionnelles qui obligent le président de la République à soumettre certains actes prévus par la loi au contreseing de son Premier ministre. Ce qui fait dire à d’aucuns, à juste raison, que certains décrets signés par le chef de l’Etat sont illégaux et attaquables pour le principe, mais seulement dans un but «cosmétique» (sic). «Mais les décrets eux-mêmes sont nuls et de nul effet. Ils n’ont pas de place dans l’ordonnancement juridique du pays pour ne pas avoir de base légale sur laquelle s’adosser», renchérit notre interlocuteur juriste.

Des populations dans l’angoisse

Sur le plan strictement politique, le chef de l’Etat, en ne se pressant nullement, tel un joueur d’échec, pour la nomination d’un Premier ministre rappelle de facto qu’il est le seul maître du jeu. Quitte à démoraliser ses troupes ou à désorienter son administration centrale ? Cette longue attente présente, en effet, des avantages mais aussi des inconvénients. Et parmi ces avantages, outre celui de rester maître incontesté du jeu et de focaliser l’attention générale des média sur sa personne dans une situation d’attente interminable de mise en place d’une nouvelle équipe gouvernementale, il y a assurément le fait de faire un bon choix sur le futur Pm. Quant aux inconvénients, ils peuvent se traduire par une démoralisation de ses troupes ou une désorientation des populations qui attendent toujours des signaux du chef après les deux élections majeures passées marquées par une extraordinaire percée de l’opposition. En effet, depuis la déroute des élections locales et la déculottée des législatives subies par la coalition au pouvoir, les populations sont dans l’angoisse. « Or, elles ont besoin d’être rassurées par la voix du chef » confirme un de nos analystes politiques. Macky Sall, lui, ne se presse guère et maintient intact le suspense sur le futur locataire de la Primature.

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