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vendredi, avril 19, 2024
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De la nécessité de reformer la loi sur le domaine national

par pierre Dieme

La gestion du domaine foncier fait très souvent l’objet de litiges entre les élus locaux et les administrés. Ces derniers estiment que les autorités décentralisées procèdent au bradage de leurs terres au profit des industriels et autres responsables politiques. Un constat presque général qui devrait trouver des solutions dans la révision sur le domaine national de 964 jugée obsolète et en inadéquation avec la réalité actuelle. Notamment l’acte III de la décentralisation.

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Au Sénégal, le domaine national couvre 90% du territoire, pour lequel l’État n’est pas propriétaire de la terre, mais la détient et la gère pour le compte de la nation. Une gestion qui est très souvent sujette de conflits.
Pour Dr Bocar Harouna Diallo, géographe et chercheur à l’Ipar, la législation foncière du Sénégal est longtemps restée entre la gestion traditionnelle coutumière et celle moderne régie par la loi (immatriculation) héritée du colonialisme. De nos jours, le domaine national est subdivisé en quatre parties dans la législation sénégalaise dont les zones urbaines, les zones classées, les zones pionnières et les zones de terroir. La loi sur le Domaine national (LDN) de 1964 (loi 64-46 du 17 juin 1964 sur le Domaine national) le définit dans son article 1er comme «des terres non classées dans le domaine public, non immatriculées et dont la propriété n’a pas été transcrite à la conservation des hypothèques, à la date d’entrée en vigueur de la loi ». Et c’est dans l’affectation et la désaffectation des terres du domaine national que surviennent les conflits. Selon les experts de l’aménagement du territoire, des procédures administratives d’affectation et de désaffectation ne confèrent aux usagers qu’un droit personnel d’exploitation. Malgré les dispositions de l’Etat, le constat est que les registres fonciers prévus par la loi n’ont jamais été mis en place, aucun arrêté n’ayant été pris pour en fixer la forme, le contenu et la mise à jour.

Toutefois, certaines Communautés rurales disposent de registres, mais ceux-ci se limitent le plus souvent à des listes de personnes qui sont difficiles à mettre à jour, avec des possibilités limitées de localisation des terres affectées. L’archivage des dossiers fonciers et la conservation des documents restent par ailleurs des défis. Pour M. Bocar Diallo, le foncier, au fil du temps, est devenu un véritable business, source d’une forte convoitise et une pression visible qui peut s’expliquer par la croissance démographique, le développement des industries agro-alimentaires, l’aménagement du territoire, l’urbanisation galopante, les diverses infrastructures et le développement économique entre autres. «Ces facteurs plongent le Sénégal dans une série de conflits fonciers fréquents. L’exemple de Fanaye en est une belle illustration. Il s’y ajoute le fameux épisode de Ndingler entre le géant Babacar Ngom. Des litiges fonciers restent encore très fréquents et le plus récent est le cas de Mbour 4», a-t-il avancé.

LA NON MAITRISE DES TEXTES, UN FACTEUR DE BLOCAGE

Avec l’acte 3 de la décentralisation, les élus locaux ont plus de mainmise dans la gestion du domaine national de leur terroir. Ces derniers interviennent dans l’affectation et la réallocation des terres. Toutefois, dans cette situation, la plupart des maires sont confrontés à la maîtrise des textes qui régissent cette procédure. Pour le chercheur Diallo, l’affectation des terres à l’échelon communal par certains élus locaux qui n’ont aucune compétence et ne maîtrisant par les textes est un facteur majeur de conflit. «L’octroi des permis de construire sur des zones interdites peut aussi amplifier les litiges fonciers. Car, les acteurs détenteurs de ces permis sont souvent dans l’illégalité sans pourtant s’en rendre compte. Parfois, une seule parcelle peut faire l’objet de plusieurs ventes, paradoxalement. On peut ajouter ces motifs de conflits, le manque de sensibilisation sur les procédures d’achat de terrain. Les documents nécessaires pour la construction sont un handicap réel facteur déclencheur de conflit». Et d’ajouter : «la méconnaissance des textes organisant la gouvernance foncière par les élus locaux et l’obsolescence de certaines dispositions du système foncier telles que la loi de 1964 sur le domaine national et la loi de 1976 sur le domaine de l’Etat entraînant des distorsions du régime applicable dans la pratique ».

LES FEMMES, LES EMIGRES ET LES NON-RESIDENTS PRIVES DU FONCIER

Pour M. Diallo, le temps doit être à la réflexion pour élaborer un dispositif cohérent et fiable pour d’une part résoudre ces conflits et d’autre part les prévenir. Car un problème bien posé est à moitié résolu. «La résolution de ces litiges fonciers très fréquents passe par une bonne législation. Mais la mise en place de cette législation doit impliquer les différents acteurs pour un large consensus. La loi sur le domaine national de 1964 obsolète depuis des années nécessite une large révision car, elle présente des limites. Les femmes, les émigrés et les non-résidents n’ont pas droit au foncier». Et de poursuivre : «une gouvernance foncière d’envergure s’impose non seulement pour moderniser mais aussi adapter les textes au contexte actuel. Il me semble aussi important de procéder à une vérification et un avertissement systématique des propriétaires des parcelles avant toute destruction». Dans cette même mouvance, des acteurs de la décentralisation ont estimé qu’il est aussi opportun de procéder à la réactualisation de la commission sur la réforme foncière pour mieux prendre en charge les recommandations antérieures des initiateurs de la réforme. De même, il faut veiller à l’accès à l’information du public en procédant à la digitalisation du système foncier pour rendre beaucoup plus accessible les connaissances du foncier. «Le monde rural doit disposer d’un cadastre rural bien outillé et géré par des géomètres et les cartographes car, une bonne partie des conflits se retrouvent au milieu rural. Mais le plus crucial serait de proposer un plan de relogement», a préconisé le géographe M.Diallo.

REVISION DES TEXTES

De nombreuses études ont par ailleurs montré, si besoin en était, de la coexistence, au Sénégal comme dans de nombreux pays d’Afrique, de deux modes de gestion foncière : une gestion traditionnelle qui s’appuie sur des règles coutumières, dans laquelle la terre se vend et se loue en dehors des procédures définies par la loi et une gestion dite moderne, ou positive, fondée sur le corpus législatif et réglementaire national, mais qui est peu ou mal appliquée. La loi sur le Domaine national est donc aujourd’hui mal et peu appliquée, faute d’outils efficaces et d’avoir su s’adapter aux évolutions contemporaines dont la raréfaction des terres, croissance démographique. Cheikh Seck, président d’avant de la commission du développement durable de l’assemblée nationale avait, à plusieurs reprises, plaidé pour la réforme de la loi sur le domaine national datant de 1964, estimant que beaucoup de dispositions de cette loi sont devenues caduques dans un contexte d’élaboration de l’acte 3 de la Décentralisation. “Aujourd’hui, cette loi paraît inadaptée dans un contexte de l’acte 3 de la décentralisation. Car, les communautés rurales vont disparaître et les départements vont devenir des collectivités locales. C’est pourquoi, il y a des réformes importantes à opérer au niveau de la loi sur le domaine national”, avait soutenu le député Cheikh Seck. Le Juriste Amsatou Sow Sidibé a estimé que la loi est dépassée et n’est pas en adéquation avec la réalité des choses.

Denise ZAROUR MEDANG

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