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Comment l’avion d’Air France transportant le poète David Diop s’est abimé au large de Dakar

par pierre Dieme
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29 août 1960-29 août 2020, il y a 60 ans disparaissait la figure emblématique de la décolonisation, le poète David Diop, l’auteur de l’immortel « Afrique, mon Afrique ». Le poète révolutionnaire avait péri dans le crash du vol n° 343 d’Air France au large de Dakar. il n’y avait aucun survivant parmi les 55 passagers dont 04 bébés de cet avion de ligne d’Air France en provenance de paris. En 1963, c’est-à-dire trois ans après l’accident, le Bureau français d’enquêtes et d’analyses (Bea) pour la sécurité de l’aviation civile a publié son rapport final sur le crash de Dakar. Un rapport dont « Le Témoin » quotidien a retrouvé une copie. Selon les enquêteurs du Bea, les conditions techniques et météorologiques ont été le facteur déclenchant de l’accident.

Dans notre édition du jeudi 17 septembre 2020, un jeune pêcheur sous-marin du nom de Mamadou Faye Samb, domicilié à Yoff-Ndénate, avait révélé avoir repéré au large de Dakar l’épave de l’avion d’air France dans lequel voyageait le poète David Diop. Curieuse coïncidence puisqu’il est encore question de revenir sur cet accident coïncidant le 60e anniversaire de la disparition de l’alors jeune poète David Mandessi Léon Diop (33 ans) rendu immortel par son poème « Afrique mon Afrique ». Cette fois-ci, « Le Témoin » vous livre les résultats de l’enquête sur l’accident menée à l’époque par des enquêteurs du Bea de France. Un rapport final officiellement publié courant septembre 1963 c’est-à-dire trois ans après le crash survenu en août 1960 à Dakar. 

Déroulement du vol 
Selon le Bea, tout a commencé le dimanche 28 août 1960 à 20 h 30 lorsque le vol n° 343 d’Air France, un appareil à hélices de marque Lockheed Constellation (Usa), décolle de Paris (France) à destination de Dakar (Sénégal). « Après un voyage au cours duquel il n’a été signalé aucune anomalie. et le 29 août 1960 à 06h 30, le vol prend contact avec le centre régional de contrôle de dakar qui l’autorise à descendre jusqu’au niveau 20 et lui demande de se rabattre sur la balise DY. A 06h 37, l’avion se signale à la verticale de l’aérodrome militaire (ndlr : Base de Ouakam) en provenance de Thiès et se trouve dans le circuit en cours de procédure d’approche et d’atterrissage sur la piste 01. Le centre de contrôle régional de dakar lui demande de passer sur la fréquence 118.1 Mhz de la tour de contrôle de Dakar-Yoff. Ainsi, le contact est immédiatement établi ! » lit-on dans le rapport. 

A partir de ce moment, la chronologie et le déroulement du vol ont été ainsi établis, compte tenu : de la transcription de la bande des communications entre l’avion et la tour de contrôle de dakar-Yoff ; des indications portées par le contrôleur en service de la tour de contrôle de Dakar-Yoff sur procès–verbal et du dépouillement des renseignements fournis par les autres témoins visuels et auditifs. A 06h 28, alors que la tour de contrôle autorise l’atterrissage du nord 2501 (ndlr : un avion de transport militaire), le vol n° 343 demande au contrôle si cet appareil militaire est finalement et également sur la piste 01. a 06h 30, dès l’atterrissage du nord 2501, le contrôleur indique au vol d’Air France qu’il est n°1 pour l’atterrissage et lui demande de rappeler en finale. 

A 06h 31, le vol d’Air France demande la pression au sol qui lui a été à nouveau donnée, et il en accuse réception en la répétant. 06h 34, le vol d’air France (ndlr : David diop à bord), n’a pas rappelé en finale. morceaux ou « messages » choisis entre le vol et la tour de contrôle de dakar-Yoff : « on n’était pas axé, on a remis les gaz ! » annonce le vol. Et la tour accuse réception et lui demande de se signaler vent arrière. 06h 35, la tour de contrôle demande la position de l’avion : « Vent arrière ! on se dirige vers le range, stop à 1.000 pieds (nous arrêtons la montée à 1.000 pieds (ndlr : 300 mètres d’altitude) » indique le vol. 
En réponse, le contrôleur précise : « ok ! Seul dans le circuit. Je vous ai mis en route et les trois balises ». et le vol accuse réception en ces termes : « ok ! Vous me donnez la piste 30 alors ? ». Et le contrôleur : « oui, le vent a l’air de tomber un peu. la vitesse du vent est 10 à 15 Kts du secteur nord, si vous préférez vous posez sur la 30 ». Avion ou Vol : « la visibilité est mauvaise dans l’axe de la piste 01. Il pleut abondamment ! Ça s’améliore ou quoi ? ». Le contrôleur ; « Ça n’a pas l’air ! Je ne vois absolument plus la piste 01 ». Avion : « Bon, alors on attend ! ». Contrôleur : « Vous pouvez faire une approche sur la 30. Je vous tiendrai au courant du vent. pour l’instant, il est à 10 à 12 kts » 

« Je ne vois plus la piste à cause d’une forte pluie »,déplore le pilote
Il est à ce moment 06h 37 et 06h 38 soulignent les enquêteurs du Bea, le commandant de bord de l’avion d’Air France intervient, fait lui-même la liaison et déclare : « non, je ne me pose pas ! Quand il ne flottera plus, on se posera ! Je vais tourner sur l’Île de Gorée où c’est déjà dégagé, hein ? ». Contrôleur : « ok, d’accord ! ». 
Et 06h 41, le contrôleur est en liaison avec un autre avion au sol, puis le contact avec le vol d’Air France reprend. Vol : « on fait un essai sur la 01 ? ». Le contrôleur répond : « compris ! le vent au sol est maintenant à 20/05 kits ». Avion : « 20/05kits, d’accord ! mais la visibilité, ça s’améliore ! ». Contrôleur : « non, ce n’est pas fameux ! Je vois juste pour l’instant le phare des mamelles au moment de l’éclat simplement… ». Avion : « ok ! ». Contrôleur : « et je ne vois pas la piste 01. Quelle est votre autonomie ? ». Avion : « on a deux heures à peu près…Je vais vous le dire avec exactitude ; plus de deux heures ! ». Contrôleur : « ok, d’accord ! pour le temps, la visibilité s’améliore. Je vois nettement mieux le phare des mamelles et je distingue les balises de la grande piste ». 

Dans leur rapport, les enquêteurs expliquent qu’en cet instant- là, vers 06h 45, l’avion passe sensiblement à la verticale de l’ « aérodrome » de Dakar-Yoff (ndlr: actuel Aéroport international Lss) en direction est-ouest. « Des témoins le verront après un passage parallèle à la piste 30, virer à gauche, derrière l’hôtel Ngor et disparaitre dans une forte averse. ces témoignages ne mentionnent pas d’éclairs dans cette direction. Après avoir accusé réception du dernier message du contrôleur, le vol émet un dernier message : « on est vent arrière pour la piste 01 à 1.000 pieds ». 

A partir de ce moment, aucune autre liaison ne sera plus établie entre la tour et l’avion. Ainsi, des opérations de recherches et de sauvetage sont immédiatement déclenchées. Une heure et demie plus tard, déplorent les experts de la commission d’enquête du Bea, des débris de l’avion, flottant à la surface, sont repérés à environ deux kilomètres au large de Dakar, à l’ouest du Phare des Mamelles. M. Boirre Lucien, 50 ans, était le commandant de bord de l’avion d’air France. 

Résumé et nature de l’accident 
Avec 20.068 heures de vol, il possédait une grande expérience du Lockheed Constellation (Usa) sur lequel il volait depuis 1953. Mieux, le commandant Lucien connaissait parfaitement bien l’espace aérien du Sénégal pour avoir effectué pendant 15 ans la liaison Paris-Dakar. Ce jour-là, lit-on dans le rapport d’expertise, vers 06h 34, le vol n° 343 en provenance de Paris doit effectuer, par conditions météorologiques défavorables, une procédure d’atterrissage manqué sur la piste 01 de l’aérodrome de Dakar-Yoff. 

Après avoir refusé la piste 30, le commandant de bord Boirre Lucien disposant encore d’une autonomie (en kérosène) supérieure à deux heures décide d’attendre une amélioration des conditions météorologiques. Puis, peu après 06 h 41, il annonce son intention de faire un nouvel essai sur la piste 01. Après un passage à la verticale du terrain en direction est-ouest, l’avion est vu à 06h 45 contournant l’hôtel de Ngor pour se placer vent arrière. Soudain, il disparait dans un grain et ne sera plus entendu après annonce « vent arrière » vers 06h 47. 

Selon les enquêteurs, les conditions météorologies (orages, pluies, turbulences, possibilités d’éclairs) ont conduit à l’hypothèse d’un foudroiement de l’avion ou d’un éblouissement du pilote susceptible d’avoir conduit à une perte momentanée de l’appareil et à l’impact avec l’eau voire l’océan. Ainsi disparaissait en mer l’avion d’air France dans lequel voyageait le célèbre poète David Diop (voir encadré). Il y a 60 ans de cela ! 

Encadré
Pris dans une tempête, l’avion transportant le poète David Diop sombre dans l’océan atlantique. le corps sans vie de notre éminent compatriote a été repêché et inhumé au cimetière catholique de Bel-Air. Né à Bordeaux (France) en 1927 d’une mère camerounaise et d’un père sénégalais, David Mandessi Léon Diop a marqué son époque. Il est dans le cercle des immortels de par son célèbre poème « Afrique mon Afrique » qui constituait l’hymne d’une révolution africaine et d’un anti-impérialisme français. Comme le disait l’écrivaine française Dunia Miralles, David Diop était un militant très engagé, un panafricain des années indépendances et un dénonciateur de la colonisation qui ont secoué le monde politique et littéraire. 

Après le décès de son père, racontait-elle, sa mère resta seule avec six enfants dont le jeune David Diop ayant la santé fragile. « De longs séjours à l’hôpital lui permettent de découvrir la littérature, en particulier la poésie. Il connaît la guerre puis l’occupation allemande. David Diop commence des études en Médecine puis se réoriente vers les Lettres Modernes. Il était le poète de la radicalité qui a opté pour une démarche contestataire que certains qualifient de révolutionnaire » disait-elle en hommage à l’illustre poète disparu dans un crash d’avion. 

Doté d’un caractère révolutionnaire, David Diop se détachait alors de l’influence de son oncle, Léopold Sédar Senghor, en créant son parti politique qu’est…la littérature et la poésie. Un moyen d’expression qui lui permettait de dénoncer la Colonisation et l’Esclavage. En 1958, David Diop répond à l’appel lancé par Sékou Touré aux intellectuels africains et part enseigner en Guinée. En 1960, son combat pour la naissance des Etats africains porta ses fruits. D’où la décolonisation et l’indépendance de plusieurs pays d’Afrique. Pour accompagner ces années indépendances, David Diop préparait de nouvelles œuvres qui ne verront jamais le jour. Car le 29 août 1960, il périt dans un accident d’avion. Cette malheureuse coïncidence avait provoqué de folles et vieilles rumeurs selon lesquelles l’avion de David Diop aurait été abattu. 

Plusieurs générations d’enseignants, d’élèves et d’étudiants ont blanchi sous le « harnais » de cette hypothèse criminelle entourant la mort de David Diop. Aujourd’hui, si « Le Témoin » quotidien tient à publier les résultats de l’enquête, c’est pour enterrer définitivement ces rumeurs d’écolier vieilles de… 60 ans. Il est vrai que si le défunt David Diop avait voyagé à bord d’un jet privé ou d’un avion personnel, on aurait cru à une piste criminelle. Mais c’est plutôt dans un avion de ligne ou vol régulier Paris-Dakar contenant des passagers de diverses nationalités (Français, Grecs, Espagnols, Sénégalais, Ivoiriens, Maliens, Libanais etc.) qu’il a effectué son dernier voyage. 

Abattre un tel avion pour abréger la vie d’une seule personne, David Diop en l’occurrence, qui n’avait même pas pris les armes contre la France, avouez que c’était trop gros. Et un tel acte, même les «talibans» ne l’auraient pas fait ! 

Le Témoin

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