Accueil Politique Cheikh Bamba Dièye : «Un décret présidentiel ne peut pas supplanter la loi»

Cheikh Bamba Dièye : «Un décret présidentiel ne peut pas supplanter la loi»

par pierre Dieme
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Ancien ministre de la Décentralisation et ancien maire de la ville de Saint Louis, avant de perdre les élections, Cheikh Bamba Dièye a donné son point de vue sur le décret pris par le chef de l’Etat et qui consacre maintenant un droit pour les préfets et sous-préfets de pouvoir signer des autorisations. Dans cet entretien qu’il nous a accordé depuis Saint Louis où il se trouve, Cheikh Bamba Dièye ne fuit aucune question. Sa candidature pour la mairie de Saint-Louis, le report des élections, la gestion du Covid par le régime… Cheikh Bamba Dièye dit tout.
 
 
Les Echos : Le président de la République a pris un décret pour permettre maintenant aux sous-préfets et préfets de signer des autorisations de construire, si les maires refusent ou observent une certaine lenteur à apposer leurs signatures. En tant qu’ancien ministre en charge de la Décentralisation, qu’est-ce cela vous inspire comme commentaire ?
 
Cheikh Bamba Dièye : Cela va à contre-courant de la décentralisation et de tous les grands concepts qu’il a mis en place. N’oubliez pas qu’on parle de déconcentration, de territorialisation des politiques publiques et de responsabilisation des autorités locales. Et dans ce sens-là, un maire qu’on dépouille de la capacité d’organiser l’habitation dans sa cité, ce maire-là n’existe plus. Il y a des actes que le gouvernement doit réfléchir profondément avant de les prendre. Ce sont des actes qui posent l’exact contraire de toutes les politiques de décentralisation et de toute la politique gouvernementale en matière de décentralisation. Il ne faut jamais profiter les difficultés de communication entre un élu local et un pouvoir central, pour changer complètement la dynamique de décentralisation. Cela ne repose sur rien.
 
 
D’aucuns croient savoir d’ailleurs que c’est juste pour contourner les maires…
 
Bien évidemment ! Quand on va dans le sens contraire d’une bonne politique de décentralisation, cela voudrait dire que non seulement on est adversaire patenté de la décentralisation, mais que l’acte qu’on pose est un acte qui entaille sérieusement la démocratie locale. Si les maires perdent la capacité d’intervention là-dessus, cela voudrait dire qu’il n’existe plus de décentralisation. C’est comme si on retournait à l’ancien temps, avant 1971. 
 
 
Ne craignez-vous pas des confrontations entre les maires et les préfets ?
 
Le Code des collectivités locales confère une compétence aux maires, relativement au dossier lié à l’urbanisation et à la construction. Ça c’est la loi ! Et un décret présidentiel ne peut pas supplanter la loi. Fondé sur cela, tout maire qui se respecte, sans volonté de vouloir aller dans une forme de confrontation, ne doit pas accepter une spoliation des terres communales. Les maires ont l’obligation de veiller à ce que les terres dans les communes, dans les collectivités territoriales, soient utilisées conformément aux dispositions de la loi. Un maire qui ne défend pas la terre de sa commune n’en est pas un.
 
Mais avec ce décret, on donne aux requérants les moyens de les contourner…
 
Les maires ont, à mon avis, la loi avec eux. Ils ont la loi. Si j’étais maire, je n’autoriserais aucune construction qui viole la loi. Qui va faire d’une zone non aedificandi une zone de construction ? Quel que soit, par ailleurs, un décret ou un arrêté qui pourrait être évoqué, je m’y opposerais, parce que c’est ça la mission du maire ! Et ce n’est pas parce que le décret existe qu’ils sont dépourvus de moyens pour s’opposer à cela.
 
Mais connaissant l’homme Macky Sall et ses méthodes, vous pensez que c’est ce qui va le faire reculer ?
 
Macky Sall n’est pas Dieu. C’est juste un homme qui est aujourd’hui à la tête de l’Etat du Sénégal. Un homme qui, comme vous et moi, est assujetti au respect de la loi. Si la politique politicienne guide l’action de l’Etat, les actes qui sont posés ne sont jamais dans le sens de l’intérêt général. Du point de vue de la décentralisation et de la territorialisation des politiques publiques, il a l’obligation de veiller sur l’intérêt général de la société.
 
Des Sénégalais disent que vous avez déserté le terrain. On ne vous voit plus. Qu’est-ce qui explique cela ?
 
Il faut dire à ceux-là que Cheikh Bamba Dièye refuse les folklores. Parce que moi je refuse de rentrer dans le jeu politicien. Je refuse également de rentrer dans le jeu des Sénégalais, parce que tout ce qui se passe dans ce pays l’a été avec la complicité de certains Sénégalais. Chaque fois qu’il y a eu des élections, je me suis positionné ; et sur les années de pratique politique, je n’ai jamais dérogé d’un iota par rapport à mes engagements. Est-ce que certains Sénégalais le font ? Ils veulent que l’on soit dans les cirques politiques ou dans les télévisions en train de vociférer à gauche et à droite. Non ! Aujourd’hui, je choisis les thèmes sur lesquels je m’exprime. Je refuse de rentrer dans leur jeu. Je demande à chaque Sénégalais de se poser la question d’abord de savoir s’il fait ou s’il a fait ce qu’il devrait faire ? Est-ce que cette politique d’indolence, d’indifférence n’est pas la conséquence de ma position ? Le pays ne m’appartient pas. Je ne suis pas le seul propriétaire de ce pays ; je le partage avec 16 millions de Sénégalais.
 
 
On parle de plus en plus de report des élections locales et de son couplage avec les législatives de 2022… 
 
Je vais me répéter. Depuis le début, je dis que ce dialogue national n’avait qu’un seul but : celui de faire reculer les élections ! Ils ne les organiseront que le jour où ils seront absolument certains qu’ils ont l’argent pour corrompre les gens et le temps qu’il faut pour corrompre le système. Je n’ai jamais cessé de le dénoncer et c’est la raison pour laquelle je refuse de participer aussi bien au dialogue politique, qu’au dialogue dit national.
 
Vous êtes candidat à la mairie de Saint-Louis ?
 
Bien sûr, cela va de soi. Vous-même reconnaissez que je suis spécialiste en matière de décentralisation et les Saint-Louisiens, aujourd’hui encore, apprécient la qualité de la gestion et la manière avec laquelle j’ai conduit les affaires de la ville de Saint-Louis. Ils savent à quel point j’ai été capable de défendre et je serai encore capable de défendre les intérêts de la ville contre tout le monde et contre toutes les forces. Et je pense qu’à ce niveau, il leur sera difficile de trouver un candidat meilleur que Cheikh Bamba Dièye.
 
Même face à Mansour Faye, actuel maire ?
 
Ça n’a pas d’importance. Il n’y a pas de surhomme sur terre. Il n’y a pas de régime blindé ad-vitam aeternam, ça n’existe nulle part. Ça tombe même dans le non-sens. Je suis conscient du fait qu’à tout point de vue, on a été meilleur qu’eux, plus sérieux qu’eux, plus crédible qu’eux ; plus soucieux de la défense des intérêts des populations. Et les Saint-Louisiens se rendent compte chaque jour que Dieu fait de cet état de fait et cela me suffit largement. Ils auront en face une large coalition crédible et très sérieuse. Ça m’étonnerait qu’ils puissent gagner.
 
Depuis quelques jours, il est question de la démolition de la statue de Faidherbe, êtes-vous pour ou contre ce projet ?
 
Quand j’ai été maire, cette question-là était une question extrêmement importante dans le dispositif de la gestion de la commune de Saint-Louis. J’avais mis en place un comité constitué de conseillers municipaux, de doyens du Conseil municipal qui s’étaient entourés aussi de responsables au plus haut niveau et dans divers secteurs de la ville de Saint-Louis, dont la seule préoccupation était : la «nomination et la renomination des artères, avenues et places de la ville de Saint-Louis». Nous sommes indépendants depuis très longtemps et il est extrêmement important que nous puissions en tant que Sénégalais voir nos villes, nos rues, nos avenues, nos places, refléter ce que nous sommes et ce que nous voulons être. La renomination des rues de nos villes n’est aucunement une manière de nous positionner anti-Occident ou quoi que ce soit. C’est une question intrinsèque à nous-mêmes. C’est une question de patrimoine et de vision des choses. Ma préoccupation était qu’on pouvait changer toute place et toute avenue de Saint-Louis à la seule charge, qu’après avoir changé le nom de la place, on reste pour la mémoire, pour que les générations à venir puissent se remémorer de ce que ces places ont été, que l’on puisse avoir en filigrane et petits caractères, l’ancien nom de la rue avec le nouveau nom d’aujourd’hui. Je pense que chaque ville a la responsabilité de nommer et de revoir l’ensemble de ses noms d’avenues qu’il a héritées de l’époque coloniale pour les adapter à ses réalités. Ça, c’est légitime, c’est normal ! Ce sont des questions de souveraineté sur lesquelles, il n’y a pas besoin de discuter de midi à quatorze heures.
 
 
 
Donc, cela ne vous générait pas de vous voir la statua de Faidherbe être enlevée du décor ?
 
Ça ne me gêne absolument pas. Le monde évolue. Nous ne sommes plus ce que nous avons été du temps de la colonisation et il n’est pas question qu’on reste figé dans le temps. 
 
 
 
 
 
Entretien réalisé par Madou MBODJ

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