Parmi les cancers urogénitaux, celui de la prostate demeure le plus évoqué dans les campagnes de sensibilisation consacrées aux pathologies masculines. Toutefois, il ne doit pas occulter d’autres affections tout aussi préoccupantes : le cancer du sein chez l’homme, dont 95 % des cas sont d’origine génétique, et le cancer du pénis, représentant environ 0,97 % des cancers masculins adultes. Autant de pathologies souvent sous-diagnostiquées mais qui provoquent des ravages silencieux dans la société. Le radiothérapeute Dr Mouhamadou Bachir Ba, en service à l’hôpital Dalal Diam, insiste sur la nécessité du dépistage précoce pour échapper à ces maladies. Et de rassurer : « les cancers ne sont pas une fatalité, ils sont curables s’ils sont diagnostiqués tôt et les moyens de traitement sont disponibles au Sénégal ».
En 2024, le professeur Papa Ahmed Fall, chef du service d’urologie du même hôpital et président de l’Association sénégalaise d’urologie, soulignait que chaque année, au moins 1 000 nouveaux cas de cancer de la prostate sont diagnostiqués, un chiffre qu’il estime largement sous-évalué. Considéré comme le premier cancer chez les hommes, il se révèle souvent trop tardivement, lorsque la maladie s’est déjà installée, ce qui réduit considérablement les chances de guérison. « 20 % des cas sont détectés précocement, rendant possible un traitement radical. Les 80 % restants sont souvent diagnostiqués à un stade avancé, ce qui limite les options thérapeutiques et alourdit les coûts pour les patients », indiquait-il à la RTS. Il précisait également : « un traitement initial peut coûter entre 250 000 et 300 000 FCFA tous les trois mois. Cependant, lorsque la maladie évolue, les traitements peuvent atteindre jusqu’à 1 million de FCFA par mois ». De nature silencieuse, ce cancer touche principalement les hommes âgés de 45 à 50 ans et plus, d’où l’importance, selon les spécialistes, de consulter annuellement un urologue. Le dosage sanguin du PSA (Prostatic Specific Antigen) constitue le principal moyen de détection précoce. Quant aux symptômes les plus caractéristiques, ils comprennent des troubles urinaires — besoins fréquents d’uriner, difficultés à initier la miction, sensation de vessie incomplètement vidée — ainsi que la présence de sang dans l’urine ou le sperme, des douleurs pelviennes persistantes irradiant vers le bas du dos, et des troubles de l’érection ou de l’éjaculation.
Les cancers du sein chez l’homme : une réalité génétique
Bien que le cancer du sein soit communément associé à la femme, il affecte également les hommes, rappelle le Dr Bachir Ba. « Anatomiquement, c’est la composition du sang qui change. Chez la femme, il y a beaucoup plus de graisse. Mais chez l’homme, il y a les muscles, vous avez un disque vasculaire, donc, vous avez un sang. On peut faire un cancer du sein chez l’homme. Et la plupart du temps, presque dans 95 % des cas, c’est génétique », explique-t-il. Selon lui, cette forme de cancer est liée à des mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 qui empêchent la réparation des lésions cellulaires. « Si dans votre famille, il y a un parent qui a fait le cancer du sein, vous devez, homme ou femme, commencer vos dépistages beaucoup plus fréquemment que la personne normale. À partir de 35 ans, il faut faire l’hématographie, parce que vous avez un risque plus accru de faire un cancer du sein qui est lié à la génétique », ajoute-t-il. Même s’il reste 200 fois moins fréquent que chez la femme, les cas masculins existent bel et bien. « Nous, à l’hôpital Dalal Diam, par année, on voit 2, 3, 4 cancers du sein chez l’homme. Et ça se traite exactement de la même façon que chez la femme. La seule différence, c’est que, quand ça vient chez l’homme, ça atteint rapidement la peau et les muscles, puisqu’il n’y a pas de graisse. Donc, du coup, on a tendance à faire des chirurgies très lourdes, on fait de la radiothérapie, on fait de l’hormonothérapie souvent, si c’est sensible ».
Le cancer du pénis, une maladie taboue
Plus rare encore, le cancer du pénis demeure entouré d’un silence social qui en complique le diagnostic et la prise en charge. Une étude de 1992 sur ses aspects cliniques et thérapeutiques au Sénégal l’évaluait à 0,35 % de l’ensemble des cancers et 0,97 % des cancers masculins adultes. Elle constatait surtout la prédominance des formes évoluées nécessitant un traitement radical. Le retard de consultation, dû au manque d’information et au poids du tabou entourant toute pathologie de la sphère génitale, est une constante. Peu de patients acceptent les traitements radicaux proposés, ce qui complique davantage la gestion de la maladie. Le Dr Bachir souligne : « les personnes qui ne sont pas circoncis font beaucoup plus de cancers du pénis que les personnes qui l’ont. C’est un lien, en fait, d’infection virale, chronique, qui va entre les deux. Après, c’est une maladie qui est rare aussi. Elle n’est pas très fréquente. On ne l’a pas beaucoup dans le monde. Mais le facteur de candidat évoqué, c’est que les gens ne viennent pas en consultation et ils pensent que c’est une plaie. Parfois, aussi, ce sont des sujets qui sont un peu âgés et qui vont préférer arrêter toute activité sexuelle, la femme n’est pas au courant, la personne meurt derrière ».
Ces pathologies traduisent les limites persistantes de la prévention et du dépistage précoce dans notre système de santé. Elles mettent aussi en évidence le poids des représentations sociales et culturelles qui freinent l’accès aux soins, en particulier pour les cancers jugés honteux. Le retard au diagnostic accroît les souffrances physiques et financières des patients, tout en alourdissant la charge des familles. Rompre ce silence collectif devient une exigence sanitaire autant qu’un impératif de dignité humaine.
Denise ZAROUR MEDANG