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vendredi, avril 19, 2024
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Boire le calice jusqu’à la lie

par pierre Dieme

Macky Sall aura appris à ses dépends que les élections ne se résumaient pas seulement à des additions. Dix-huit mois pour aller au purgatoire ou en enfer, telles sont désormais les options du président

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Le président Macky Sall et sa tonitruante majorité Benno Bokk Yakkar ont perdu la majorité absolue lors de ces élections législatives. Un séisme !

Les zones urbaines qui leur avaient déjà tourné le dos lors des locales, ont accentué le mouvement. D’autres villes comme Saint-Louis et Louga ont accentué le sillon entamé lors des locales par Dakar, Thiès, Diourbel et Ziguinchor. Seules les ceintures du Nord et de l’Est sont restées fidèles au régime. Celles-là d’ailleurs, seraient suspectes d’avoir outrageusement favorisé le camp de Benno. Les programmes PUDC, PUMA et autres sont passés par là. Ils ont permis de construire des routes, de creuser des forages d’adduction d’eau et de connecter des milliers de villages à l’électricité. Il est donc normal qu’on retrouve leurs votes dans la coalition du pouvoir. On néglige ces réalisations quand on est en ville mais ces infrastructures rurales changent votre vie quand elle est des champs.

Ceux qui gagnent une médaille aux jeux, sont proclamés vainqueurs par d’autres, dans le but de leur épargner l’autosatisfaction désagréable

On s’attendait, certes à ce que le nombre de députés de la majorité s’érodât mais sûrement pas dans ces proportions. Perdre plus de 40 députés est un cuisant échec.

Son propre camp fut surpris par l’ampleur du désastre annoncé dès la sortie des urnes. Aussi tinrent-ils une conférence de presse en pleine nuit et, on pouvait lire sur leurs visages interloqués, des réactions de gens qui se sentaient expropriés d’un pouvoir qu’ils ont longtemps considéré comme un apanage héréditaire. Le comble fut atteint quand, bien après minuit, nous assistâmes à cette grossièreté imbuvable dont ils ont le secret. Elle consista en une déclaration lapidaire de leur chef de file, affirmant sans ambages qu’ils avaient gagné, chiffres à l’appui ! Ce faisant, elle énonça plutôt une liste de départements à la place des sièges. Quelle mouche les avait donc piqués ! Cela avait un air tout de même cocasse de voir une candidate, de surcroit tête de liste de la coalition au pouvoir, battue dans son propre centre de vote, totalisant à peine 76 voix après avoir fait le tour du Sénégal nous dire, « nous avons gagné » ! Dissonance ne pouvait être plus totale. On était partagé entre la tristesse pour elle et la colère pour le peuple. Ceux qui gagnent une médaille aux jeux, sont proclamés vainqueurs par d’autres dans le but de leur épargner l’autosatisfaction désagréable.

L’inter-coalition Yewwi-Wallu, dernière trouvaille de l’opposition pour le contenir, aura été fatale à Macky Sall

À leur décharge, personne n’a vu venir une telle déferlante de l’opposition particulièrement celle de Wallu. La venue de Wade fut sans aucun doute un catalyseur pour un PDS moribond. Tel le phénix, il renait de ses cendres. La coalition du vieux président est définitivement la grande gagnante de ces joutes électorales. À l’autre bout de l‘échiquier, la coalition AAR Sénégal aura été la grande perdante. Elle s’est trompée de cible en s’attaquant à Yewwi et en montrant peu d’empathie pour elle quand elle fut victime du recalage de sa liste nationale des titulaires. Sonko, féroce, les acheva en laissant croire qu’ils roulaient pour la coalition au pouvoir. Le mal fut fait malgré leurs dénégations indignées. Ils se virent beaux avant l’heure, on les crût beaux mais voilà, il leur faudra faire face à la dure réalité. En politique il y a les « basics » auxquels on ne coupe pas. Il faut une base électorale si l’on veut être élu. Les « Serviteurs », nouveaux venus en politique, ont tiré leur épingle du jeu et se sont mis au niveau de vieux routiers que comptent AAR Sénégal et Bokk Guiss Guiss. La prime à la nouveauté a indéniablement joué en leur faveur. L’inaction du président après l’échec des locales, laissait entrevoir que le fossé allait fatalement se creuser encore un peu plus, entre lui et ses concitoyens. Laisser en place des ministres défaits dans leur localité, faire rallier à son camp des maires de l’opposition, n’auront fait qu’accroitre le dépit que le peuple lui vouait. Il aura appris à ses dépends que les élections ne se résumaient pas seulement à des additions, elles se traduisent parfois aussi en soustractions. Faire rallier Bamba Fall et Djibril Wade lui aura couté des voix, comme naguère le « Bouro Soow » l’avait fait.

L’inter-coalition Yewwi-Wallu, dernière trouvaille de l’opposition pour le contenir, lui aura été fatale.

Sa plus grosse erreur fut celle de « vouloir réduire à sa plus expression son opposition »

Décrit comme un fin stratège, le président Sall n’en aura pas pour pourtant, commis de grossières erreurs : la dernière en date, fut le choix des élections législatives un 31 juillet. Une date trop proche de la déroute des locales encore présente dans l’esprit des gens ; une date en plein hivernage où les inondations rappellent bruyamment les engagements pris et non honorés ; une période de soudure où les vivres arrivent à manquer facilement.

Avant celle–là, sa manie de persister à acheter des opposants dont la valeur « marchande politique » est presque nulle. Idy, Bamba Fall, Djibril Wade, Djamil. La liste est longue. Les derniers venus ont tous perdu avec lui.

L’autre erreur fut d’enrôler Idy. Double peine pour celle-là. Idy ne lui a apporté aucune voix et ce deal a permis de laisser le champ libre à Sonko d’être le seul opposant. Il eut fallu surement négocier avec Idy mais le laisser dans l’opposition, drainer les feux sur lui et atténuer l’effet Sonko. Aveuglé par le désir d’être le seul coq de la basse cour, Macky n’aura eu de cesse que de faire le vide autour lui. Parmi les siens tout d’abord dans son propre camp : exit les Mbaye Ndiaye, les Amadou Ba, les Aly Ngouille Ndiaye et ensuite dans l’opposition. « J’achète ceux que je peux acheter, je réduis à néant ceux qui résistent », telle semblait être la doctrine sommaire du Roi de Sine ! Sonko fut son exception.

Sa plus grosse erreur fut celle de « vouloir réduire à sa plus expression son opposition ». Cet objectif funeste lui fit faire des choix hasardeux et aujourd’hui, ce sont ces choix qui sont en train de le mener lentement à sa perte inéluctable. Emprisonner Khalifa et Barthélémy, exiler Karim et renvoyer de la fonction publique Sonko furent de mauvaises décisions.

Avec ces piètres résultats aux locales et aux législatives, les perspectives du troisième mandat s’éloignent. Il sera empêché, comme le fut Hollande en son temps, et le futur se jouera sans lui pour sûr, et dans une certaine mesure sans son camp.

Pour son avenir, Il a encore la main sur ces prochains 18 mois à venir. S’il joue franc jeu, le jeu d’ouverture, celui de reconnaitre sa défaite, celui d’adopter un profil bas et de préparer quelqu’un de son camp pour 2024, il pourrait s’en tirer honorablement. Deux problèmes à cela : en est-il capable ? Le doute est permis. Y a-t-il quelqu’un dans son camp qui puisse tenir la dragée haute, non pas aux ténors de l’opposition, mais au peuple sénégalais excédé par tant d’impérities face aux difficultés de la vie ? Pas sûr.

Si par contre, il persiste dans son déni de la défaite et clame la victoire, comme le fit inélégamment sa tête de liste, alors il subira la pire des humiliations, celle des urnes d’abord et celle des poursuites contre sa gouvernance calamiteuse en bien des points. 

Dix-huit mois pour aller au purgatoire ou aux enfers tel est désormais le choix du président.

L’heure est à la négociation, à l’établissement de compromis salutaires avec son opposition

En attendant ses députés – on n’oublie pas que sa coalition reste majoritaire tout de même à l’Assemblée – connaitront l’enfer du chaudron du palais de la place Soweto, car l’opposition s’en donnera à coeur de joie de créer, à fonds la caisse, des tumultes politiques divers qui n’auront rien à envier aux agit-prop des marxistes du début du siècle dernier. J’imagine un Guy Marius Sagna, un Thierno Alassane Sall ou encore un Pape Djibril Fall fustiger leurs collègues et animer des débats houleux. Cela ne manquera pas. L’Assemblée a besoin de portes qui claquent pour revigorer notre jeune démocratie. Se dirigera-t-on vers des impasses politiques ? À coup sûr oui, si le président rejoue ses jeux favoris de retournement de députés. Cela voudra dire qu’il n’aura pas tiré les enseignements des législatives comme il ne le fit, hélas pas pour les locales.

On ne saurait trop lui conseiller de se libérer de sa cohorte d’ouailles prompte à la flatterie servile et qui l’ont longtemps enfermé dans des schémas de gladiateurs d’un autre âge. L’heure est à la négociation, à l’établissement de compromis salutaires avec son opposition, pour faire avancer le pays par des réformes audacieuses.

Oui l’opposition est victorieuse mais qu’elle ne confonde surtout pas le parlement avec un autre pouvoir exécutif. Qu’elle laisse le président Sall achever paisiblement son mandat et partir. Qu’elle assure son rôle législatif. Le temps du vote est passé, c’est le temps de l’action.

À elle maintenant de faire la preuve de son engagement pour le pays et de mériter le vote des citoyens. Nous jugerons.

Dr. Tidiane Sow est coach en Communication politique.

Tidiane Sow de SenePlus  

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