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mardi, avril 16, 2024
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Banque Africaine de développement : la gouvernance en question

par pierre Dieme

La candidature du Président de la Banque africaine de développement, du nigérian Adesina, candidat unique à sa propre succession n’est pas du goût de tout le monde au sein de l’institution. Des lanceurs d’alerte ont dénoncé certains travers du patron de la Banque qu’ils accusent de népotisme, de favoritisme, voire de collision avec certains états africains emprunteurs ne satisfaisant pas aux conditions requises pour bénéficier de prêts d’une institution cotée triple A.  Le comité d’éthique de la Bad, a disculpé M. Adesina des fautes et manquements allégués. Cela n’a pas calmé l’ardeur de l’actionnaire américain qui a réclamé et obtenu le recours à une évaluation experte et  indépendante, avec apparemment l’accord tacite des autres actionnaires non africains. Le Nigeria, pays d’origine de M. Adesina soutient son candidat alors que les autres états africains membres sont jusqu’à présent restés aphones. C’est dans tel contexte aussi chargé qu’on apprend la démission de la vice-présidente en charge de l’agriculture, du développement humain et social, l’américano-suissesse, Jennnifer Blanke, en poste depuis 2016 à la Bad. Sud Quotidien ouvre pour ses lecteurs, le débat sur cette banque réputée solide et exemplaire qui traverse une zone de turbulences sur fond de querelles d’actionnaires.

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LE PRESIDENT ADESINA SUR SIEGE EJECTABLE  – LA BAD CONNECTION

Oui, l’Afrique a des raisons d’être très attentive à l’impérialisme. Mais ce n’est pas la question à la BAD.

A moins que vous ne soyez totalement déconnecté des médias sociaux ou des plates-formes de messagerie comme WhatsApp (ce qui ferait de vous un être rare en ces temps de COVID19), ou que vous n’ayez aucun lien avec l’Afrique, votre calendrier, comme le mien, doit crouler sous le poids des théories donnant des raisons géopolitiques à l’imbroglio actuel entourant le renouvellement du mandat du président de la Banque Africaine Développement (BAD), Adesina Akinwumi.

Les théories vont de sa prétendue position prochinoise ayant irrité les « Américains » à sa politique de promotion d’une agriculture domestique au Nigeria qui s’accommode difficilement aux intérêts de l’agro-industrie américaine.

D’autres font état de complots sombres et sinistres pour faire dérailler le progrès financier de l’Afrique et imposer l’impérialisme occidental par la porte dérobée du financement des otages.

Adesina est charismatique et compte de nombreux partisans, en particulier parmi les cadres nigérians.

Une entrepreneure nigériane respectée qui a travaillé en étroite collaboration avec lui, lors de sa première candidature électorale a parlé avec passion dans un groupe WhatsApp de la façon dont elle avait été inspirée par la détermination obstinée d’Adesina, à renverser une règle tacite qui veut que le Nigeria, étant l’actionnaire principal, devrait être tempéré dans le soutien de ses ressortissants au poste de présidence de la Banque.

Elle fait allusion à la conviction que cette décision de l’Okonjo-Iweala a conduit l’équipe de lobbying à faire le forcing en faveur d’Adesina contre des candidats préférés de certaines puissances occidentales, ce qui a dû déranger et engendrer des inimitiés durables.

Preuve supplémentaire de ce “plan géopolitique” pour nuire à la position d’Adesina, ses partisans soulignent les récents commentaires de David Malpass, président de la Banque mondiale, critiquant la BAD pour des normes de crédit laxistes qui auraient poussé les prêteurs à l’Afrique à s’endetter déraisonnablement.

En qualifiant les bouleversements actuels à la BAD d’ingérence impérialiste, de néocolonialisme et d’intrigue occidentale contre l’autosuffisance africaine, les commentateurs ont élargi le champ d’application de l’analyse bien au-delà de l’aspect initial mis sur le compte des intrigues de haut niveau entourant le départ de cadres supérieurs de la Banque pendant qu’Adesina estampille son autorité sur l’institution et s’est positionné pour un renouvellement sans bruits de son mandat.

Sans surprise, de nombreux Africains peu au fait des réalités du monde du financement multilatéral du développement se sont focalisés sur la question des pays non africains possédant des actions et ayant des droits de vote à la BAD.

Sur twitter, un observateur furieux a rappelé à ses partisans, les prophéties de l’ancien président Shehu Shagari, qui s’était battu avec beaucoup d’abnégation, contre l’ouverture de la BAD aux actions étrangères. Shagari, dans cette interprétation de l’histoire, avait prévu ce que ses homologues n’avaient pas vu : accorder aux étrangers un intérêt quelconque sur les affaires africaines, c’est créer des conflits futurs.

Une explication plus simple. (…) 

Plutôt que d’évoquer la géopolitique, ce qui se passe à la BAD peut être expliqué simplement. Tout d’abord, il y a les enjeux de pouvoir organisationnel auquel chaque acteur fait référence, ensuite la mauvaise stratégie et technique d’investissement souveraine de l’Afrique subsaharienne.

Prenons la critique Malpass, qui a été utilisée comme un prétexte dans la théorie de la conspiration américaine. S’il est vrai qu’il n’y a pas de relations particulières entre Steven Dowd, le représentant américain au conseil d’administration de la BAD et Adesina, il en est autrement de celles qui lient le dirigeant de l’agroindustrie et de la logistique de l’Etat de Floride à David Malpass. Malpass lui-même entretient de solides relations avec Steven Mnuchin, le secrétaire américain au Trésor et représentant au conseil d’administration de la BAD. Cette situation a fait dire que les critiques de Malpass ne sont que l’œuvre d’un « tueur à gage ». Toutefois une telle vision est aujourd’hui dépassée. En effet dans ses discours, Malpass s’en prend non seulement à la BAD, mais aussi à plusieurs banques régionales de développement. Il critique tout azimut les normes qu’il juge très lâches sur lesquelles elles se basent pour accorder des prêts. Concernant Malpass, ce discours n’est pas nouveau. En 1989 déjà, il adoptait la même démarche dans le témoignage qu’il fit devant le sous-comité des opérations étrangères du Comité des crédits du Sénat des États-Unis. A cette occasion il a critiqué la plupart des banques multilatérales de développement comme ayant des normes « hors-normes ».

Cela a fait suite à un examen effectué en 1982 dans le cadre des opérations multilatérales de financement des banques de développement (BMD). Les États-Unis, droits dans leurs bottes, avaient empêché la Banque mondiale de participer aux investissements pétroliers et gaziers, insistant sur le fait qu’il existe d’autres sources de financement sur les marchés commerciaux.

Quels que soient les «  mérites  » de la politique américaine sur les BMD, imposant des critères d’évaluation de crédits plus stricts, ce n’est pas une posture nouvelle sous couvert d’ « une conspiration géopolitique » contre le président de la BAD.

Malpass est peut-être été sincère, même si nous pensons qu’il a été mal conseillé.

Les faits démontrent que les prêts non remboursés ont plus que doublé de valeur depuis 2014 alors que le carnet de prêts n’a augmenté que d’environ 50%. Ce n’est pas la preuve formelle d’une détérioration des normes de crédit au fil des ans, mais cela montre que les conditions d’approbation deviennent un peu plus libérales en ne laissant pas apparaitre la capacité de remboursement de l’emprunteur. Des désaccords compréhensibles peuvent exister dans l’analyse des faits.

Ce qui est sans doute la raison première de la discorde personnelle entre certains acteurs clés de la BAD. Les départs des cadres supérieurs au début du mandat d’Adesina ne se sont pas opérés de manière sereine. Personne à la BAD n’ignorait les rancunes, les campagnes de chuchotement et les points de presse « off-the-record » qui avaient cours.

La vérité toute simple, réside dans le fait que les banques multilatérales africaines ont toujours été sujettes à des machinations et des intrigues qui éclatent de temps en temps, quand quelques intérêts privés sont menacés. Le linge sale se lavant alors en public.

Développements intrigants 

En 2013, Laurence do Rego, alors directrice générale du risque et des finances chez Ecobank Transnational (Ecobank), une banque initialement cofondée et largement créditée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), a publiquement accusé le Conseil d’administration du prêteur régional de « ne pas fonctionner dans l’intérêt des actionnaires ». La vague qui s’en est suivie a englouti de nombreux cadres, dont le PDG Thierry Tanoh et le président Kolapo Lawson.

Do Rego a accusé le président de la Banque «d’escroqueries et de fraude. Dans cette controverse, c’est le gouvernement nigérian qui avait voulu nettoyer la banque et expulser le président, alors même que le conseil d’administration le soutenait.

Nous pouvons également prendre exemple sur Martin Ogang, le directeur général ougandais de la Banque du commerce et du développement de l’Est et du Sud (PTA), aujourd’hui TDB, dont le licenciement a été très fortement demandé et obtenu par le Zimbabwe.

La décision du Zimbabwe de se retirer de la PTA n’était qu’une étape d’une longue histoire de machinations internationales et de litiges crées autour de l’affaire Ogang. Ogang congédié, une jurisprudence sur les immunités et les privilèges des organes multilatéraux régionaux et de leurs acteurs avait été mise en place.

Les institutions de financement du développement (IPF) sont ce qu’elles sont parce que la politique s’y mélange à l’argent. C’est pourquoi il est surprenant que les gens soient allés si loin dans la recherche de théories géopolitiques complexes pour conclure à une conspiration américaine ayant conditionné ses objectifs au départ d’Adesina de la banque.

Il est vrai que la lettre de Mnuchin était arrogante par endroits.

Le rejet complet des procédures de la gouvernance interne qui avaient été évoqué jusquelà au sein de la BAD pour répondre aux préoccupations des lanceurs d’alertes, et la demande faite à un « enquêteur externe indépendant, d’une réputation professionnelle sans tâche » pour refaire l’enquête est une dénonciation générale de la qualité du très hétéroclite conseil des gouverneurs (composé de tous les ministres des Finances des 80 pays membres) et de 20 administrateurs .

Mais le conseil d’administration a peut-être mal évalué le degré de l’intérêt public, et aurait pu avoir à l’esprit que dans le cadre d’une enquête très médiatisée menée par un membre de la direction, confronté à un éventail aussi large d’accusations, d’actes répréhensibles, mais aussi peu étayées, la pratique conventionnelle est que le Conseil retienne un avocat externe ayant des titres de compétences irréprochables.

Il faut noter la grande différence entre faire appel, mener une enquête indépendante et obtenir les meilleurs conseils d’un spécialiste en éthique et celui d’un conseiller que rien ne lie au cadre supérieur « accusé» d’autant plus que tout le monde sait que le conseil est fortement divisé sur cette question précise.

Les mécanismes d’enquête sur une situation aussi délicate, où les accusateurs profitent pleinement des protections des dénonciateurs de l’organisation, et où les allégations abondent, selon lesquelles certains directeurs exécutifs sont directement impliqués, ne peuvent être considérés comme une routine en matière de procédures.

Des compétences spécialisées impartiales et hors banque sont nécessaires. C’est précisément l’avantage qu’ont les avocats externes quand ils ont eu à y travailler.

Je ne suis donc pas convaincu que les développements actuels à la BAD soient le prétexte d’une réflexion géopolitique en cours en Afrique en ce moment.

L’angoisse nait du fait même qu’il y a des actionnaires non africains dans la BAD et appelant à l’autonomie africaine dans la gestion et la possession complète de sa propre banque de développement est particulièrement ténue.

La BAD en tant que banque régionale de développement à part entière s’est progressivement internationalisée.

Les 26 actionnaires non africains (allant de la Turquie au Luxembourg) qui détiennent 40% des capitaux y sont partisans de rendements exclusivement, ce qui est banal pour des gouvernements non africains. C’est ce qui motive leur intérêt pour une banque de développement régional. La participation non asiatique à la Banque asiatique de développement, par exemple, est de 36,6 %. Elle est très proche de celle qui prévaut à la BAD. Les stocks de capitaux appartenant à l’Amérique latine (près de 50%) à la Banque interaméricaine de développement renforcent cette opinion. Ce format n’est pas une nouveauté dans les pays du Tiers monde.

Parmi les actionnaires de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) il y a l’Arménie, la Biélorussie, l’Inde, Israel, le Mexique, la Mongolie, l’Ukraine, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, et les États-Unis (qui en est le plus grand). Le Japon y a autant d’actions que les puissances européennes que sont l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie. La Russie a plus d’actions que l’Espagne, les Pays-Bas ou la Suisse.

Trois pays africains, le Maroc, l’égypte et la Tunisie, sont actionnaires de la BERD. Si les gouvernements de l’Afrique subsaharienne n’ont pas jugé bon d’y investir, la seule raison est le manque d’attention à la stratégie de gestion des fonds souverains, un sujet sur lequel je reviendrai.

La BAD est la seule grande banque régionale de développement dont les États-Unis ne sont pas membres fondateurs.

En fait, contrairement à la BAD, qui a résisté à l’actionnariat non régional pendant longtemps, principalement en raison de l’influence de son principal membre fondateur, le Nigeria, la Banque asiatique de développement (BAD) a choisi dès le début, d’être attrayante pour les investisseurs souverains internationaux, en particulier les États-Unis.

Malgré cette ouverture, sur l’hégémonie régionale de la BAD, le Japon a exercé une très grande influence. Depuis sa création, chacun des présidents de la Bad est japonais. Et ce, malgré le fait que la participation japonaise dans la BAD est à égalité avec celle des États-Unis (par rapport à la situation dans la BAD où le Nigéria a près de 50% de plus en participation que les États-Unis). D’autres éléments de preuve, très clairement inscrits dans que l’actionnariat qui n’est aisément contrôlable. C’est la mondialisation de la « finance souveraine », plutôt que la dynamique impérialiste qui semble être en jeu ici. En tout cas, c’est cette même mondialisation qui a conduit à l’augmentation de plus de 11 fois la base du capital de la BAD au cours des vingt années.

Il convient également de mentionner que les membres non régionaux sont souvent convoités parce qu’ils n’empruntent pas.

Dans un sens, on peut dire que les membres régionaux ne font que faire circuler l’argent entre eux alors que les “étrangers” injectent de l’argent “réel”.

Le Nigéria est certes le principal actionnaire, mais il emprunte à équivalence. La plus grande proportion des prêts non souverains de la BAD, soit plus de 18 % au Nigéria. Viennent ensuite les pays d’Afrique du Nord, qui bénéficient de près de 45 % des prêts en cours.

La structure du capital de la BAD, dont plus de 90% souscrits étant “callable” (en termes bruts, “promis”) plutôt que versés (comme d’autres BMD à cet égard), est un fardeau porté par tous ses membres, y compris les “étrangers” non-emprunteurs, pour se voir créditer des grandes sommes que la BAD emprunte pour les prêter ensuite aux pays “d’origine”, dont certains ne peuvent pas obtenir de prêts même de la Banque mondiale.

La quasi-totalité de la base de la notation triple A de la BAD repose sur le capital appelant massif (près de 27 milliards de dollars avant les nouvelles augmentations prévues pour la levée de capitaux en cours) promis par les pays riches et non emprunteurs. En bref, la BAD a désespérément besoin des membres non africains pour maintenir son dynamisme, voire sa viabilité.

La question la plus intéressante est de savoir pourquoi les gouvernements africains ont tendance à ne pas augmenter leurs parts à cet actif de qualité d’investissement adossé au crédit de certains des pays les plus puissants du monde .

Nous ne pouvons attribuer le préjudice, le cas échéant, de cette omission ou de cette négligence qu’à un mauvais sens de la stratégie financière plutôt qu’à certaines machinations impériales. C’est, me semble-t-il, le bon cadrage de la situation géopolitique de l’Afrique : une stratégie faible ou inexistante.

Le Ghana, par exemple, a des fonds bloqués dans des actifs négatifs à intérêt réel à New York depuis un certain temps maintenant parce que l’élite du pays semble incapable de construire le consensus politique nécessaire et de faire preuve de créativité sur la restructuration des mandats d’investissement de ses fonds pétroliers excédentaires souverains (une super majorité parlementaire est nécessaire pour faire des progrès).

Il va sans dire qu’aucun impérialiste ne tire les ficelles dans cette affaire interne à la BAD

La non-performance des Fonds souverains africains a presque toujours été attribuée à l’absence de stratégie claire et de mandats flous.

Etant donné qu’il s’agit des entités locales les mieux placées pour soutenir des institutions comme la BAD qui a une assise financière pour accroître sa base de capital, il y a dans l’opinion cette idée que l’actionnariat étranger aux capitaux de la BAD doit être découragé au profit de la propriété africaine. La faute doit être imputée aux Africains eux-mêmes et non aux étrangers

Je récuse l’existence d’un argument plus «  sophistiqué  » qui veut que la façon dont les institutions de financement du développement finissent par être « capturées par l’impérialisme », souvent à cause du système financier de Bretton Woods, par sa rigueur technique. Mais ce n’est pas l’argument que nous développons dans l’affaire en cours de la BAD.

C’est vrai, l’Afrique a des raisons d’être très vigilante par rapport à l’impérialisme, et les préoccupations générales, relatives à l’ordre mondial néolibéral qui sont souvent légitimes. Mais il ne sert à rien de se donner en spectacle et avec fracas pour faire des comptes rendus de réunions à caractère « géopolitique 

Bright Simons est analyste des politiques, directeur de think tank et technologue du Ghana. Il a siégé à plusieurs conseils d’administration et comités consultatifs internationaux.

Bright SIMONS (ThEAFRICAREPORT.COM)

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