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Autorisation de construire : Les «zones d’ombre» d’un décret polémique

par admin

Alors que la polémique continue d’enfler autour d’un présumé scandale sur le littoral, divulgué par Barthélémy Dias, maire de la commune de Mermoz-Sacré-Cœur, le chef de l’Etat Macky Sall a signé, mercredi dernier, un décret conférant aux préfets et sous-préfets la prérogative d’accorder des autorisations de construire, si les maires refusent d’apposer leurs signatures.
Ainsi donc, par cet acte, le président de la République transfère un pouvoir dévolu au maire de signer les autorisations de construire à l’administration déconcentrée.
Un acte «illégal !», constate Cheikh Sadibou Seye, chercheur en gouvernance publique, contacté par Seneweb. Il soutient qu’aux termes de l’article 319 de la loi portant Code général des collectivités territoriales, les communes ont la compétence de délivrer «des autorisations de construire à l’exception de celles délivrées par le ministre chargé de l’Urbanisme».
«Atteinte à l’autonomie des communes»
«Or, précise-t-il, ce décret du 10 juin vient conférer au représentant de l’Etat la latitude de délivrer des autorisations de construire sans base légale». En effet, la loi n°2008-43 du 20 août 2008 portant code de la construction dispose en son article L4 que «nul ne peut élever une habitation, restaurer ou augmenter un bâtiment existant ou encore creuser un puits distant de moins de 100 mètres des nouveaux cimetières transférés hors des communes sans obtenir préalablement une autorisation délivrée par le maire».
Et l’article 68 de la loi portant Code de l’urbanisme dispose également que «l’autorisation de construire est délivrée au propriétaire ou à son mandataire, après instruction par les services chargés de l’urbanisme, par le maire dans les conditions définies dans la partie réglementaire du présent code».
Pour rappel, en vertu de la loi actuelle, il est accordé au maire un délai de 28 jours pour délivrer l’autorisation de construire. Une fois ce délai expiré, on considère que l’autorité a pris une décision tacite. Alors, le requérant peut saisir cette dernière d’un recours gracié, par lettre postale, et dans ce cas, le maire aura 30 jours pour notifier à l’intéressé son avis favorable ou défavorable.
«Aucun acte législatif ne permet, dès lors, aux sous-préfets de supplanter les maires, même en cas de défaillance», fait notamment remarquer Cheikh Sadibou Seye, qui en déduit qu’«un tel décret porte atteinte à l’autonomie des communes».
A l’en croire, le sous-préfet n’a même pas de marge de manœuvre puisqu’il lui est dit qu’il doit «délivrer» l’autorisation sous huitaine.
«Décret de circonstance»
A signaler, par ailleurs, que dans le rapport de présentation du projet de décret modifiant l’article R207 du décret de 2008, le ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique, Abdou Karim Fofana, a soutenu que «cette modification réglementaire a pour objectif de garantir l’effectivité de l’autorisation de construire réputée accordée dans ces conditions ainsi que de la célérité de la procédure de délivrance du permis de construire par les communes, conformément aux directives du président de la République».
Une «motivation» que semble nier une juriste, spécialiste du droit foncier.

«Au-delà du fait que les circonstances dans lesquelles ce décret a vu le jour, cela semble sauter à l’œil nu que le Président Macky Sall a violé tous les codes (code de l’urbanisme, code de la construction, etc.). Parce qu’en aucun cas, on ne peut contourner le maire pour donner cette prérogative à une autorité déconcentrée», a-t-elle précisé à Seneweb parlant même de «précipitation» dans cette affaire.
«C’est un décret de circonstance qui a été pris pour régler un problème ponctuel qui pourrit la vie politique dernièrement. On renforce les pouvoirs des autorités déconcentrées sans se soucier de l’existence de la règle dans le même texte», qui, d’après elle, porte atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectives locales.
Commentant, en outre, l’esprit de cet acte, notre interlocutrice d’ajouter: «L’autorisation est réputée accordée par l’intervention active de l’autorité administrative alors qu’elle est déjà réputée accordée par le silence de l’autorité décentralisée dans le système actuel, car le silence gardé pendant un certain temps équivalait à acceptation. Ce décret n’a donc aucun sens».
Selon cette spécialiste, cet acte apporte une «lourdeur» dans la procure si l’on sait que, dans la pratique, les populations locales sont généralement beaucoup plus proches de leurs communes que du représentant de l’Etat.  Elle dit : «Ce n’est pas ce décret qui réglera la question des retards de délivrance des autorisations de construire».
L’autre problème, analyse la juriste, «sous le régime du domaine national, l’autorité administrative déconcentrée n’intervient que pour approuver après une délibération du conseil municipal. Et l’Etat, pour ses projets sur les terres du domaine national, peut déclasser celles-ci, mais avec l’avis du conseil départemental ou municipal».
Autant de «zones d’ombre» qui font que ce décret présidentiel peut faire l’objet d’un recours devant la Cour suprême, selon toujours nos experts.
«En 2008, le régime d’alors, constatant que beaucoup de projets de l’Etat se heurtaient à des refus d’attribution d’autorisation de construire par certains maires notamment de l’opposition, avait décidé de faire voter une nouvelle loi pour dire que le silence équivaut à l’acceptation, sachant que cette obligation d’autorisation de construire prévue dans l’article 68 du code en vigueur s’impose aux services publics et concessionnaires de services publics de l’Etat, des départements et communes comme aux personnes privées. Mais là, c’était dans une procédure normale et légale. Un décret ne peut pas modifier une loi», insiste Cheikh Sadibou Seye. Qui pense, à l’image de nos interlocuteurs, que «ce décret est bel et bien attaquable».

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