Depuis quelques temps, apparaissent dans notre pays des signes inquiĂ©tants qui augurent, si lâon y prend garde, de rĂ©elles menaces sur notre cohĂ©sion nationale, laquelle a toujours Ă©tĂ© la compĂ©tence distinctive de notre nation, en matiĂšre de cohabitation pacifique, harmonieuse entre les races, les ethnies, les religions et les confrĂ©ries. Cette cohabitation pacifique et exemplaire sâest enracinĂ©e bien avant les indĂ©pendances. En effet, elle sâest construite dâabord sur le socle de solides relations, empreintes de bienveillance et de cordialitĂ©, de convivialitĂ©, voire de parentĂ© indestructible, entre les diffĂ©rents chefs religieux et coutumiers, qui se sont toujours vouĂ©s un respect mutuel et une profonde considĂ©ration qui dĂ©passaient les frontiĂšres de leur localitĂ© dâorigine, servant ainsi dâexemple Ă lâensemble des communautĂ©s dont ils Ă©taient Ă la tĂȘte. De mĂȘme, les mariages scellĂ©s entre familles dâorigine culturelle ou religieuse diverses ont largement contribuĂ© Ă raffermir les liens de solidaritĂ© et dâentente, partant, Ă consolider la communion si essentielle entre les diffĂ©rentes composantes de la sociĂ©tĂ©. Et ce nâest pas rien, dans un monde oĂč le repli sur soi, lâautarcie sclĂ©rosante, le conservatisme identitaire sont en passe de devenir un vĂ©ritable flĂ©au, porteur de conflits latents, tapis sournoisement dans lâombre malĂ©fique des consciences.
Quel bel exemple de grandeur et de noblesse que cette anecdote Ă©difiante relatĂ©e souvent dans les chaumiĂšres des anciens : Cheikhoul khadim, un jour, mĂ» par sa mansuĂ©tude et son ouverture dâesprit et de dĂ©passement, prit la dĂ©cision mille fois salutaire dâenvoyer un de ses disciplines Ă Seydi Haadj Maalick Sy, pour le parachĂšvement de ses humanitĂ©s Ă Tivaouane. Et lorsque ce dernier termina brillamment sa formation, Maodo, le saint de Tivaouane, lui demanda de retourner auprĂšs de son cousin, le saint de Touba, Cheikhoul khadim, afin de poursuivre sa mission Ă ses cĂŽtĂ©s.
Dans un esprit chevaleresque, dâune grandeur dâĂąme dont seuls les Hommes de Dieu ont le secret, Khadimou Rassoul, lâauteur de Masalikuoul DjinĂąne, demanda Ă Maodo de garder son fidĂšle Ă ses cĂŽtĂ©s, et de lui donner Ă©ventuellement la tarikha Tidiane, sâil en Ă©tait demandeur. Câest ainsi que ce dernier sâinstalla Ă Tivaouane oĂč il devint un des distinguĂ©s Moukhadames de Seydi Haadj Malick Sy, jusquâĂ son rappel Ă Dieu.
Quelle belle leçon de sagesse, de magnanimitĂ© qui prouve sâil en Ă©tait encore besoin, que ces hommes-lĂ , nâont jamais Ă©tĂ© animĂ©s de compĂ©tition, de concurrence, ou je ne sais de quelle vaine rivalitĂ©.
Autre exemple Ă©loquent : Sans lâavoir jamais rencontrĂ©, un Ă©minent Cherif de la Casamance dâalors, avait envoyĂ© tous ses enfants auprĂšs de Seydi Haadj Maalick Sy pour parfaire leur enseignement religieux. Le seul lien qui les unissait alors, Ă©tait leur appartenance au SĂ©nĂ©gal, Ă lâislam et aux valeurs quâil incarne.
AprĂšs lâindĂ©pendance du SĂ©nĂ©gal, le PrĂ©sident LĂ©opold SĂ©dar Senghor, aura contribuĂ© Ă la crĂ©ation et Ă la consolidation dâune vĂ©ritable nation sĂ©nĂ©galaise et dâun Ătat rĂ©publicain. Quoique de confession chrĂ©tienne, il fut soutenu dans sa conquĂȘte du pouvoir par les Khalifs Serigne Falilou Mbacke et Serigne Babacar Sy. Preuve que lâappartenance confessionnelle nâa jamais constituĂ© un obstacle Ă notre « commun vouloir de vie commune ». Un concept traduit en idĂ©al de vie communautaire, que le prĂ©sident poĂšte avait fini lui-mĂȘme par institutionnaliser, en demandant quâaprĂšs chaque rĂ©union du conseil de cabinet, que son ministre chargĂ© de lâinformation fasse un Ă©ditorial axĂ© sur les valeurs cardinales qui fondent une nation. Nâest-ce pas lĂ , une fort belle maniĂšre de donner un sens Ă la devise du SĂ©nĂ©gal : Un peuple, Un but, Une foi ?
Au demeurant, mĂȘme sâil ne lâa pas inventĂ©, Senghor aura largement contribuĂ© Ă asseoir solidement la parentĂ© Ă plaisanterie, qui demeure aujourdâhui encore un des ciments de notre cohĂ©sion nationale.
Au cours de sa gouvernance, Le PrĂ©sident Abdou Diouf sâest Ă©vertuĂ© Ă consolider cet hĂ©ritage si prĂ©cieux, et Ă raffermir le socle sur lequel repose une vĂ©ritable RĂ©publique. Jamais durant son magistĂšre, nâont Ă©tĂ© mis en exergue des questions identitaires, de quelque nature que ce soit. MĂȘme la question du conflit casamançais nâa jamais Ă©tĂ© gĂ©rĂ©e par lâEtat sous le prisme dĂ©formant de considĂ©rations ethniques ou religieuses. Pour preuve, Diouf avait constamment associĂ© les fils du territoire Ă la recherche de solutions, pour asseoir lâidĂ©e que ce nâĂ©tait ni une affaire dâethnie, encore moins un problĂšme de religion.
Bien que nâĂ©tant pas dit de maniĂšre officielle, le choix de Ziguinchor comme deuxiĂšme ville devant abriter la CAN 92 participait Ă ce souci dâintĂ©gration, pour montrer Ă la face du monde que la Casamance fait partie intĂ©grante du SĂ©nĂ©gal.
Aujourdâhui, au regard des dĂ©rives auxquelles on assiste, autant dans les discours que dans les comportements de responsables censĂ©s cultiver un esprit de cohĂ©sion nationale, il y a lieu de se demander si tous ces prĂ©cieux acquis ne sont pas menacĂ©s.
Qui ne se souvient de cet appel Ă la violence, lancĂ© par un reprĂ©sentant du peuple, invitant ses parents Ă lâusage de machettes, Ă lâendroit de tous ceux qui se seraient opposĂ©s Ă un troisiĂšme mandat de lâactuel PrĂ©sident de la RĂ©publique ?
En dĂ©pit dâune laborieuse explication sĂ©mantique, il nâaura convaincu personne quant Ă la relativitĂ© de ses graves propos. Il ne fut jamais rappelĂ© Ă lâordre, du moins officiellement.
Au surplus, des messages sont vĂ©hiculĂ©s tous les jours dans les rĂ©seaux sociaux, qui dĂ©noncent une absence dâĂ©quitĂ© Ă travers des nominations considĂ©rĂ©es comme ethniques, politiques ou familiales au sein de lâAdministration publique.
Ce ne sont lĂ que deux exemples, mais qui illustrent parfaitement la chienlit rampante qui devrait faire froid dans le dos de tous ceux se soucient de la cohĂ©sion nationale, de la cohabitation harmonieuse et dâune nation apaisĂ©e, qui ont toujours existĂ© dans notre sociĂ©tĂ©. On constate que la pudeur qui bĂąillonnait jusque lĂ nos compatriotes dâaborder ce dĂ©licat sujet est en train de sâeffriter dangereusement.
Et câest dâailleurs pour Ă©viter ce genre de situation en matiĂšre de promotion au sein de lâAdministration publique, que les conclusions des Assises nationales avaient suggĂ©rĂ© que les nominations Ă certains postes de responsabilitĂ© soient soumises Ă un appel Ă candidatures. Une telle dĂ©marche aurait lâavantage de sĂ©lectionner les meilleurs candidats, en plus de mettre le Chef de lâEtat Ă lâabri dâaccusations de nominations subjectives, voire affectives. Sur la base de ce processus de sĂ©lection et Ă lâissue des Ă©preuves, il lui serait soumis une liste de trois candidats sur lesquels il pourrait opĂ©rer son choix. Une telle dĂ©marche nâaffecterait en rien, la prĂ©rogative constitutionnelle qui voudrait que le Chef de lâEtat soit celui qui nomme aux emplois civils et militaires.
Toujours, dans ce souci dâalerte Ă la retenue face au danger des pratiques identitaires, il Ă©tĂ© observĂ© rĂ©cemment, quâune partie de la communautĂ© lâEbouĂ© sâest fendue dâun communiquĂ© pour soutenir lâidĂ©e que le prochain Maire de Dakar devrait ĂȘtre des leurs. Quelle catastrophe ! quelle hĂ©rĂ©sie ! Dâautant plus condamnable que ce communiquĂ© Ă©mane dâĂ©minents notables, supposĂ©s ĂȘtre imbus des principes rĂ©publicains et de vigiles de la sauvegarde de lâorthodoxie des valeurs traditionnelles et religieuses.
Combien dâexemples pouvons nous citer, ici et ailleurs qui illustrent que nul ne peut ĂȘtre un Ă©tranger dans une localitĂ© de son pays, dĂšs lors quâil dispose de sa nationalitĂ©.
Lâexemple le plus Ă©vident de ce principe est celui du chef de lâEtat lui-mĂȘme. Dâethnie Al polar, nâa-t-il pas Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement Ă©lu par une localitĂ© composĂ©e principalement de sĂ©rĂšres, bien loin du Djouloumadji de ses ancĂȘtres?
Jacques Chirac de la CorrÚze serait-il Maire de Paris si cette rÚgle incongrue lui avait été appliquée en France ?
Que dire dâun Manuel Valls, ancien Ministre de lâintĂ©rieur, ancien Premier ministre de France qui a envisagĂ©, il nây guĂšre longtemps, de prĂ©senter sa candidature Ă la mairie deâŠ. Barcelone dont ses parents sont originaires.
Cheikhoul khadim comme Seydi Haadj Maalick Sy, ne sont-ils pas originaires du Fouta ? Et pourtant câest au Baol et dans le Cayon quâils ont Ă©tĂ© accueillis dans la pure tradition de l’hospitalitĂ© sĂ©nĂ©galaise. Ce qui les a emmenĂ©s Ă sây installer dĂ©finitivement. Cet appel Ă lâĂ©lection ethnique dâun Maire de Dakar devrait ĂȘtre trĂšs vite enterrĂ©, et dĂ©finitivement.
Sur un autre registre, nos mĂ©dias, aussi bien dans les tĂ©lĂ©visions que dans les radios et rĂ©seaux sociaux sont devenus des canaux de transmission du discours de certains professionnels de lâescroquerie religieuse qui usent et abusent de nos appartenances confrĂ©riques pour attiser un fanatisme dĂ©consolidant, dont ils sont les seuls Ă tirer profit, autant au plan matĂ©riel que financier.
Câest le lieu de regretter la responsabilitĂ© de lâEtat, dĂ©faillant Ă bien des Ă©gards, avec la timide, voire lâabsence de rĂ©action des organismes de contrĂŽle et de rĂ©gulation, face aux joutes organisĂ©es par certaines tĂ©lĂ©visions sous le couvert dâune fausse intention visant semble t-il a exalter les mĂ©rites de tel ou tel guide religieux. Les auteurs de ces manipulations sont souvent couverts de cadeaux de la part de fidĂšles fanatisĂ©s, naĂŻfs et incultes, qui considĂšrent que leur engagement Ă leur confrĂ©rie se mesure Ă lâaune de leur gĂ©nĂ©rositĂ© ostentatoire Ă lâĂ©gard de ces prĂ©dateurs religieux.
Outre le danger que ces compĂ©titions entraĂźnent au plan religieux et surtout confrĂ©rique, on assiste Ă©galement Ă une autre menace Ă la cohĂ©sion nationale Ă travers lâutilisation de milices privĂ©es sur la scĂšne politique. Principalement des nervis recrutĂ©s pour casser des adversaires. En plus de fragiliser et de dĂ©crĂ©dibiliser les institutions rĂ©publicaines, seules compĂ©tentes relativement Ă lâutilisation de la force publique, cette privatisation de la violence installe une psychose qui pourrait entraĂźner chaque citoyen ou groupe de citoyens Ă sâorganiser, afin d’assurer les conditions de leur propre sĂ©curitĂ©.
Câest la responsabilitĂ© de lâĂtat de veiller Ă ce que des dĂ©rives Ă©ventuelles pouvant dĂ©boucher sur des violences entre adversaires politiques soient Ă©vitĂ©es. Ce phĂ©nomĂšne est dâautant plus prĂ©occupant que des accusations sont portĂ©es sur la tolĂ©rance, voire la complicitĂ© passive des forces de lâordre, alors que celles-ci doivent ĂȘtre mandatĂ©es pour assurer une mission rĂ©galienne, de service public au profit de lâensemble des citoyens. Sans exclusive !
Les forces de lâordre et de sĂ©curitĂ© font partie intĂ©grante de lâAdministration publique. A ce titre, elles doivent ĂȘtre par essence, le reflet du fonctionnement dâun systĂšme dĂ©mocratique, en obĂ©issant aux principes de neutralitĂ©, dâĂ©quitĂ© et de mutabilitĂ© dans lâexercice de cette mission rĂ©galienne.
Il est temps de se ressaisir, afin de conserver ce que nous avons de plus prĂ©cieux : la paix, la cohĂ©sion nationale et le dĂ©sir dâun commun vouloir de vie commune, qui sont les prĂ©alables Ă un climat de sĂ©rĂ©nitĂ© et de sĂ©curitĂ©, condition d’un dĂ©veloppement harmonieux dâune nation.
Nous sommes tous interpellĂ©es. Que nous soyons Ă lâintĂ©rieur du pays ou dans la diaspora. Personne nâa le droit, pour quelque raison que ce soit, de mettre en pĂ©ril cet hĂ©ritage laissĂ© par les anciens.
Le PrĂ©sident de la RĂ©publique, chef de lâEtat et de la nation a la responsabilitĂ© majeure et primordiale de consolider lâunitĂ© nationale, la concorde, de renforcer la cohabitation pacifique et harmonieuse de lâensemble de ses compatriotes. En le portant Ă la magistrature suprĂȘme, en lui donnant tous les moyens nĂ©cessaires Ă la rĂ©alisation de sa mission, le moins que les sĂ©nĂ©galais sont en droit dâattendre de lui, est quâil assume pleinement cette responsabilitĂ©, notamment par la protection de ses compatriotes et de leurs biens.
Quant aux hommes politiques, de quelque bord quâils se situent, ils devraient aussi avoir Ă cĆur de sauvegarder la cohĂ©sion nationale. Car, il ne sert Ă rien de conquĂ©rir le pouvoir ou de chercher vaille que vaille Ă le conserver, si lâon doit passer tout le reste de son temps Ă recomposer les piĂšces dâune nation Ă©clatĂ©e.
DĂšs lors, la seule et unique condition du maintien de lâunitĂ© nationale dans la pluralitĂ© des races, des religions, des ethnies, des opinions politiques et de tout ce qui peut nous caractĂ©riser diffĂ©remment sans nous opposer, câest la stricte application des rĂšgles et principes dâune vĂ©ritable dĂ©mocratie et le respect scrupuleux, par tous, de la loi fondamentale quâest la constitution de la RĂ©publique.
Abdoul Aziz Tall
Conseiller en management.
Ancien ministre
ArrĂȘtons de jouer avec le feu !
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