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vendredi, avril 19, 2024
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«Anonymorts»: Les repas de l’Atlantique Par Adama Gaye*

par pierre Dieme

Des corps flottent. Sans vie. La scène est coutumière, ces jours-ci, sur les bords Sénégalais de l’Atlantique. D’autres, dans les profondeurs, forment le menu de chanceux requins, surpris par pareille aubaine. Combien sont-ils, combien pèsent-ils ces cadavres, cette masse charnelle, engloutis par les eaux ? Nul n’ose s’aventurer pour savoir. L’omerta, d’une couche plus sombre, s’est chargée de dissiper jusqu’à leurs identités. Ce ne sont plus que des morts anonymes. Les morts de l’émigration.
Les regards impuissants des leurs, restés sur terre, enfouis dans leur propre malheur, ayant perdu le dernier espoir qu’ils avaient placé dans cette police d’assurance souscrite au plus haut sacrifice en en escomptant, une fois les passagers des fragiles embarcations arrivés sur la terre promise, n’en finissent plus d’interroger, en silence, les vagues. Endettés jusqu’au cou, leur placement envolé, dévoré par l’Océan, ils sont sans voix.
Du fond des âges, la voix du poète résonne. Qui, mieux qu’eux, peut capter le sens des mots de Victor Hugo. Même s’il ne s’adressait pas à eux. Il tonne.
«Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !
Vous roulez à travers les sombres étendues,
Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus.
Oh ! que de vieux parents, qui n’avaient plus qu’un rêve,
Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
Ceux qui ne sont pas revenus !».
Lui parlait de marins morts. Aux antipodes. Eux, ce sont les nôtres. Les premiers partaient au boulot, au bord d’un esquif, brusquement piégé par la houle de l’Océan. Les morts de l’Atlantique croyaient, pour leur part, trouver un nouvel élan en l’affrontant. Ils sont désormais le symbole de l’échec des politiques publiques qu’on leur avait tant vantées.
Victimes, leurs vies ont basculé. Elles sont maintenant la preuve indéniable du naufrage des promesses de création de centaines de milliers d’emplois qui leur avaient été faites, en 2012, par le candidat à la présidentielle, né après les indépendances, incarnation d’un leadership de jeunesse, en la personne de Macky Sall. Au gré des vagues, elles viennent échouer sur les rivages impuissants ou, lentement, plongent dans cette abîme sans fin.
Elles ne sont plus qu’un macabre, insoutenable, spectacle, une arithmétique, de cadavres rejetés ou avalés par l’adversaire qu’il s’était choisi pour espérer atteindre l’eldorado, à l’autre rive.
On a fait d’elles le sujet d’une controverse malvenue. L’organisation internationale des migrations (OIM) a estimé que dans une des vagues de morts, près de 500 personnes ont été décomptées. Le Secrétaire-général de l’Organisation des nations-unies (ONU), Antonio Guterres, a crû humain de présenter ses condoléances, d’exprimer sa compassion. On lui a tapé sur les doigts. Circulez, lui a dit le gouvernement champion de l’irresponsabilité. Le ministre des pêches qui aurait vendu, contre commissions, les licences de pêches à des prédateurs étrangers, continue de jouer aux élégants, ne mesurant pas qu’il a privé ces futures victimes de leur pain, les jetant ainsi dans les bras de l’Océan. Le Président, les autres autorités du pays, sont restés immuables dans leur déni.
L’outrage est allé plus loin quand quelques-jours après, en ce mois d’Octobre qui voyait les victimes s’amonceler, un bateau de la marine nationale réussit l’exploit de cogner, le faisant chavirer, l’embarcation où se trouvaient, pense-t-on des dizaines, voire des centaines de passagers. Au large de la ville touristique de St-Louis, au nord du Sénégal. L’OIM déclare la mort de 140 personnes suite à ce coup de…torchon. Comme s’il était question de couler le bateau d’une puissance ennemie. Aucun remords. Ou plutôt une fanfaronnade de galonnés trop heureux de prouver qu’ils ont maintenant des équipements pour participer à la politique de militarisation de l’aide Européenne. Dont le but, par Frontex et maints autres mécanismes, vise, en échange d’un renforcement des moyens matériels des soldatesques des pays de départ des Emigrés de les endiguer. Qui doit s’étonner, dès lors, que le gouvernement sénégalais qui a négocié ces aides, se soit empressé de minorer le nombre de morts après la tuerie de sa marine ? «Il n’y a eu que dix victimes», osera même dire Macky Sall.
La crise de l’émigration n’est pas seulement la seule cause des tragédies maritimes qui affligent depuis maintenant vingt-ans le Sénégal. En Septembre 2002, déjà, la plus grande tragédie maritime de l’histoire, pire que le naufrage du Titanic, se produisait ici, avec ce que l’on consent à n’évoquer que par son nom : le bateau Joola. Deux milles victimes. Zéro sanction. Le ministre des transports, le chef d’Etat-major de l’armée (chargée de conduire le bateau alors qu’il lui manquait un moteur en bon état), les autres grands officiels du pays, jusqu’au président, tous mouillés dans le drame pour avoir préféré des dépenses somptuaires au lieu de retaper le candidat au naufrage, s’en sortirent sans coup férir.
Depuis lors, depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, beaucoup de jeunes sont morts dans cet Océan dont le ventre grandit à vue d’œil à force de se nourrir de leurs corps. Il semble s’en réjouir. L’œil goguenard, il fait rouler ses vagues en attendant ses prochaines victimes. Elles se bousculent à ses pieds, encouragés par leurs parents qui ont fini par comprendre pourquoi partir reste le dernier espoir. L’unique. Comme leurs rejetons, ils n’ont plus la moindre raison de résister à cette fatalité qui appelle, tous sachant qu’il n’y plus aucun espoir, en restant sur terre, de se trouver un emploi, lassé des vacances citoyennes farfelues et corruptrices, sur le mode de la fête irresponsable, que des ministres de la jeunesse, tels que Mame Mbaye Niang ou Néné Fatoumata Tall, s’ils ne détournent les milliards des projets, leur offrent comme chemin de vie.
L’Etat du Sénégal, sous Macky Sall, qui refuse de voir la gravité de la crise de l’émigration, dont il est le principal responsable, la société qui ne l’en punit pas, les partenaires extérieurs, dits du développement et de la coopération, frappés de ponce-pilatisme, et toute cette chaîne de contre-valeurs autour de cette traite, consentie, des esclaves, y sont devenus tellement habitués qu’ils en ont perdu tout sens d’indignation.

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Combien de morts ? Beaucoup plus que les statistiques maquillées.
En prenant les airs, ce jour, pour se rendre à un énième forum inutile, celui de la…paix, à Paris, je me demande si Macky Sall aura le courage de regarder par le hublot pour formuler des prières aux «anonymorts». En se disant que la politique, la propre faillite de son leadership, a des conséquences directes.
Elle tue, ici, de ce côté de l’Atlantique, elle ravage une jeunesse désespérée, expose les tourments de leurs familles, consacre la banqueroute d’un Etat conduit à son naufrage au moment même où l’Océan réclamait son dû en corps juvéniles.

Les parents orphelins entendent encore monter la complainte d’Hugo pour les marins, elle est leur, elle les renvoie à leurs propres victimes. Comme lui, ils se demandent:

Combien ont disparu, dure et triste fortune !
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l’aveugle océan à jamais enfouis !

Nos victimes n’ont même pas droit à un deuil digne.

Adama Gaye*, Exilé au Caire est un opposant au régime de Macky Sall.

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