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Abdou Latif Coulibaly « Les règles du journalisme sont-elles divisibles ? « 

par admin
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J’ai lu dans la journée du mercredi 27 mai 2020 un article publié sur le site du Monde Afrique et portant sur le secteur pétrolier au Sénégal. Titré : « Au Sénégal, les perspectives d’exploitations pétrolières s’éloignent une fois de plus », et rédigé à deux mains par Théa Ollivier (Dakar, correspondance) et Mariama Darame, le texte qui a été publié en ligne, il y a moins d’une semaine, est un tissu d’erreurs factuelles qui étonnent à plus d’un titre. Nul n’a besoin d’une lecture attentive pour s’en rendre compte, tant celles-ci nous paraissent grossières. On pourrait croire que les deux rédacteurs de cet article ont voulu ériger en faits, des opinions radicales pour construire on ne sait quelle vague de discrédit autour des politiques économiques. Au fond de moi, je me suis posé la question de savoir : est-ce que certains journalistes en Occident, n’en sont-ils pas arrivés, dès lors qu’ils parlent de l’Afrique, à croire que les règles qui s’appliquent à leur métier peuvent être divisibles. Une divisibilité qui fonctionnerait selon qu’on est en Europe ou en terre africaine. Sinon, Théa Olivier et la personne avec qui il a travaillé, auraient pris le minimum de précautions, pour vérifier auprès des autorités du pays le fondement des fausses informations publiées sur leur site. Quand c’est en Afrique, le doute professionnel s’envole, l’empathie qui assure une bonne communication avec tout interlocuteur et la distance qui sauvegarde et protège la neutralité et l’objectivité procédurale ont alors vite fait de déserter le terrain. Je n’ai nullement envie de dénoncer des comportements ou de répondre à des journalistes qui ont estimé devoir faire leur travail comme ils ont cru devoir le faire au Sénégal, mais j’ai plutôt envie de débattre avec eux, pour que je sois définitivement édifié, quant à la question de savoir si le journalisme a changé au cours de ces dix dernières années. Je sais que l’Internet est passé par là, toutefois, même si on constate impuissant les effets dévastateurs que ce nouvel outil porte à la crédibilité de ce métier, je ne pourrais me résoudre à l’idée que ce que le site en ligne du Monde Afrique a écrit est normal.

Quelle est la première erreur factuelle notée ? Un expert du nom de M. Omgba, consulté par les journalistes, je me demande il est expert de quoi, affirme de façon péremptoire : « Le rêve pétrolier et gazier s’éloigne encore un peu plus pour les Sénégalais. Initialement prévue en 2020, l’exploitation des deux principaux projets d’hydrocarbures, le champ pétrolier Sangomar offshore et le gisement gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA) partagé avec la Mauritanie – tous deux découverts en 2014 – avait déjà été retardée à trois reprises. La pandémie de la Covid-19 vient à nouveau de repousser d’un an, à la fin de 2023, le lancement de la production commerciale ». Nulle part dans les documents officiels publiés par le Sénégal et ses partenaires, une exploitation des hydrocarbures n’a été envisagée en 2020. Même pas imaginé. La date d’exploitation le plus tôt avancée a été fixée pour l’année 2022. On a d’ailleurs le plus souvent parlé de fourchette : 2022-2023. On parle d’erreur factuelle, pour éviter d’avoir un gros mot pour qualifier la liberté prise avec les faits. Les opérations de développement (construction des plateformes d’exploitation) ayant démarré en 2019, comment le Sénégal pouvait-il attendre des recettes pétrolières en 2020 ? En fait, je constate, pour ma part, que ce sont les journalistes, eux-mêmes, qui se trompent quand, ils pensent pouvoir avec leur expert, informer sur le pays de la manière dont ils l’ont fait. La question de perte de recettes pétrolières qui porterait un rude coup aux attentes du Sénégal est une vue de l’esprit de l’expert du site Monde Afrique, une pure invention. Nulle part dans la loi de programmation triennale qui détermine les investissements publics au cours des trois années (2017-2020) des recettes provenant du pétrole ou du gaz n’ont été prévues, encore moins dans le budget en cours (2020). Pour le collectif budgétaire en cours, le tableau ci-après donne le profil des prévisions de recettes : « Le budget général pour l’année 2020 s’élève à 3 122,55 milliards FCFA en recettes et à 3 573 milliards de FCFA en dépenses. Les recettes budgétaires sont composées des grandes masses suivantes : recettes fiscales :   2 675 milliards de FCFA (en hausse de 9,9% par rapport à la LFR1) ; recettes non fiscales : 124 milliards de FCFA (en hausse de 0,5% par rapport à la LFR1) ; recettes FSE : 30 milliards de FCFA ; – tirages sur dons – projets : 260,5 milliards de FCFA ; – dons budgétaires : 33 milliards de F CFA ». Nulle part ne figurent des recettes provenant de nos champs gaziers ou pétroliers.

Quelle est la deuxième erreur factuelle ? L’expert consulté par le Monde Afrique prétend que, dès que l’annonce de découvertes d’hydrocarbures a été faite, les salaires des fonctionnaires ont été augmentés. Une augmentation de salaire n’est pas intervenue dans la Fonction publique sénégalaise depuis le 11 août 2009. La dernière augmentation est intervenue dans ce secteur public, à la suite d’un protocole tripartite signé entre les centrales syndicales, le Patronat et l’Etat. Ce qui est constant, c’est une baisse d’impôts de l’ordre de 15000 FCFA, en moyenne qui avait impacté tous les travailleurs du secteur public et privé. Cette baisse a été actée en 2013, à la suite de la refonte globale du Code général des Impôts. La baisse des impôts des particuliers avait été prévue dans le protocole tripartite tantôt évoqué. Le Monde Afrique confond (sciemment ?) l’augmentation de salaire négociée et actée dans le secteur privé en 2019, avec la Fonction publique. Signalons que le secteur privé était resté dix ans sans aucune augmentation des traitements. 

Troisième erreur factuelle. Écoutons l’expert du site du Monde Afrique pour comprendre : « Depuis 2012 et l’arrivée au pouvoir du président Macky Sall, la dette publique du Sénégal est passée de 42,9 % à 67 % du PIB en 2020, selon le Fonds monétaire international (FMI). Cet accroissement s’explique d’abord par les investissements massifs dans des projets d’infrastructures et de développement réalisés dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE), mais pas seulement. Le pays a augmenté les salaires des fonctionnaires dès 2018. Il a aussi mis en place des subventions en faveur du secteur énergétique, malgré une hausse des cours », précise M. Omgba. Quand Macky Sall arrivait au pouvoir, la subvention accordée par l’État au secteur de l’énergie dépassait les 200 milliards par an. Il a maintenu les subventions qui sont allouées à ce secteur depuis pratiquement le premier choc pétrolier de 1973. Comment un expert qualifié peut-il ignorer cela ?  En 2011, au-delà des subventions actées chaque année, les locations de barges de production électrique pour suppléer les défaillances de Senelec en la matière, avaient, au bas mot, coûté 300 milliards de nos francs. Pour un expert, la qualité de la prestation est tout sauf brillante. 

Quatrième erreur factuelle : « En juin 2019, une affaire de corruption sur ces contrats impliquant le frère du président sénégalais, Aliou Sall, avait indigné la population. En réponse, le gouvernement de Macky Sall a promulgué un nouveau code pétrolier promettant de respecter les intérêts du pays ». Faux ! La réforme du Code pétrolier a été adoptée le 24 janvier 2019. C’est dire donc, six mois avant cette affaire de corruption que vous évoquez non sans malice. La réforme de ce Code pétrolier procède d’une politique d’Etat de réformes en profondeur des secteurs minier, pétrolier et gazier du pays. C’est d’abord la réforme du Code minier qui a été réalisée deux ans avant que n’intervienne en janvier 2019 la réforme du Code pétrolier. Un nouveau Code gazier distinct du Code pétrolier a été dans la foulée adoptée. C’est cela la stricte vérité.

De la faute de goût professionnel. Apparemment, pour le site du Monde Afrique, les autorités qui ont été mises en cause et vilipendées n’ont pas droit à la parole. Ainsi, les opposants peuvent trôner sans contradicteurs. C’est la ronde des contempteurs. Ousmane Sonko fidèle à son discours de dénonciations tous azimuts, a encore sonné la rengaine pour le Monde Afrique. C’est Fatou Diop qui enchaîne. Sans trop d’idées nouvelles dans la critique. « Malgré les incertitudes liées à ce projet, le Sénégal avait tout misé sur le pétrole. Il a perdu, estime la militante ». Inexact de dire que le Sénégal a tout misé sur le pétrole. Si le Sénégal a tout misé sur le pétrole, pourquoi alors s’est-il employé à construire de grandes centrales solaires à Ten Mérina (Ngaye Mékhé) avec 30 mégawatts, à Bokhol (20 MW) à Malicounda (22 MW) ? Et que dites-vous du parc éolien de Taïba Ndiaye ? Au contraire, le Sénégal étant conscient des dangers du tout pétrole, mise plutôt sur le mix énergétique. Ainsi, dès 2017, le pays a mis en service cinq nouvelles centrales solaires qui ont porté le taux des énergies renouvelables à 21%. Avec les premiers 50 MW du parc éolien de Taïba Ndiaye et les 100 MW du programme scaling Solar, ce taux sera porté à 30% en 2018. En 2019, quatre autres centrales photovoltaïques hybrides ont été inaugurées dans les îles du Saloum, précisément à Bettenty, Djirnda, Bassoul et Dionewar dans le département de Foundiougne, là où justement le pétrole de Sangomar a été découvert. C’est quoi tout misé sur le pétrole ? C’est se préparer à une exploitation rationnelle et optimale de la ressource, en mettant en place les moyens et les conditions indispensables à cette fin ? Si c’est cela, heureusement alors que le pays mise toujours et raisonnablement sur son pétrole. C’est légitime. « Il a tout perdu », dit la militante. J’espère que ce n’est pas là un souhait du cœur de sa part. Je souhaite conclure, en soulignant que je m’agace souvent, face à une certaine pratique de type latin du journalisme. Une pratique souvent marquée par une avalanche d’opinions sentencieuses martelées avec certitude, voire arrogance par des pontifes qui ne doutent jamais. Les faits pour eux sont secondaires, pour ne pas dire relégués sous les décombres d’un métier un peu trop malmené, ces temps-ci, par le déferlement quotidien de productions de nouvelles de toutes sortes venant des réseaux sociaux, mais provenant aussi de tous les supports disponibles sur Internet. Le site Monde Afrique m‘a semblé cette fois-ci un peu léger, en se montrant peu digne de l’aura et du professionnalisme de son père géniteur : Le Monde. Ce que j’aime dans la pratique anglo-saxonne, c’est son attachement encore effectif au fait. Je ne me fais cependant aucune illusion. Je vois bien que là également, on peut s’organiser pour tenter de travestir le fait, en le plongeant dans un magma d’opinions dévastatrices qui en dénaturent totalement le sens et la signification.

En tout état de cause, les règles du journalisme, nous semble-t-il, changent dès lors que l’Afrique est en cause. La pandémie en cours en donne une parfaite illustration. Ainsi, à défaut de pouvoir ramasser à la pelle des morts dans les hôpitaux du continent noir, on s’évertue à trouver des angles d’attaque « ingénieux », en se demandant, par exemple, pourquoi les Africains ne meurent pas encore en masse du Covid-19 ? Comme si les journalistes qui ne sont pas des scientifiques, ni médecins – les seuls susceptibles de répondre, et encore, à cette interrogation, pouvaient eux trouver la réponse. L’information, c’est : les Africains meurent, du Covid-19 mais ils en meurent aujourd’hui beaucoup moins  que les autres. C’est cela le fait. Toute autre chose dite est de la spéculation. Une opinion, ni plus ni moins.

PAR ABDOU LATIF COULIBALY

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