Accueil Politique Ababacar Fall livre les avantages, tares et inconvénients de ce système électoral en vigueur au Sénégal depuis plusieurs années.

Ababacar Fall livre les avantages, tares et inconvénients de ce système électoral en vigueur au Sénégal depuis plusieurs années.

par pierre Dieme
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Secrétaire général du Groupe de recherches et d’appui à la démocratie participative et la bonne Gouvernance (Gradec), Ababacar Fall décortique la règle de la proportionnalité et celle de la majoritaire, communément appelée en langue locale wolof «raw gaddu ». Dans cet entretien accordé à Sud quotidien, en rapport avec les élections législatives du 31 juillet prochain, Ababacar Fall livre les avantages, tares et inconvénients de ce système électoral en vigueur au Sénégal depuis plusieurs années.

Le Sénégal va renouveler le mandat de ses députés à l’Assemblée nationale lors des législatives du 31 juillet prochain. Quel regard portez-vous sur notre système électoral ?

Notre système électoral repose essentiellement sur la combinaison de deux règles, celle de la proportionnalité et celle de la majoritaire à un tour qui en font un mode de scrutin mixte. Ce mode de scrutin est hérité du système colonial inspiré de la tradition française qui avait une préoccupation essentielle consistant à garantir une certaine stabilité dans le fonctionnement de nos institutions avec une Assemblée garantissant au pouvoir politique la majorité lui permettant de gouverner sans problème. Le Professeur Abdoulaye Dièye parlant de l’utilisation des divers modes de scrutin dans un rapport sur l’évaluation du système électoral sénégalais présenté en 2004 à la Commission cellulaire pour l’instauration d’une CENA disait : « L’étude des systèmes électoraux pose généralement deux problèmes majeurs : le problème de l’efficacité d’une part et d’autre part, celui de la justice. Un système électoral devrait être ainsi à la fois efficace et équitable. Ces valeurs sont difficilement conciliables dans la pratique.

Et pourquoi ?

La difficulté est renforcée par le fait que le choix d’un mode de scrutin n’est jamais neutre. Il traduit en général les préoccupations des forces politiques qui contrôlent l’appareil d’Etat » (…) «  Si certains systèmes consacrent le scrutin majoritaire réputé simple et efficace ; d’autres consacrent le scrutin proportionnel réputé équitable. Mais chaque système comporte des inconvénients que tentent de corriger les scrutins mixtes ». Dans le droit électoral sénégalais, nous avons un système majoritaire à deux tours pour l’élection présidentielle si aucun des candidats n’obtient la majorité absolue de 50 % plus un (01) au premier tour. Pour les élections législatives et les élections des Conseils départementaux et municipaux, le système majoritaire à un tour est pratiquement combiné à un système proportionnel qui permet la représentation des partis de moindre envergure à l’Assemblée nationale, au Conseil départemental ou municipal.

N’empêche, le système majoritaire fait toujours objet des critiques de la part des certains acteurs politiques ?

Ce système a été pendant longtemps critiqué par la classe politique, notamment l’opposition dans la mesure où il est considéré comme brutal et même inique selon certains qui le qualifient de «raw gaddu». L’expression ouolof traduit en français le fait de rafler la mise si on devance les autres concurrents d’une seule voix. Il peut être rendu par le rapport suivant : 50,01% = 100 et 49,99 % = 0 pour deux listes en compétition ou alors dans le cas de plusieurs listes concurrentes par le rapport 40 % = 100 et 60 % = 0. De façon pratique, lorsque quatre listes (A, B, C, D) sont en compétition, A obtient 35 %, B obtient 30 %, C obtient 25 % et D obtient 10 %. A remporte le siège en compétition là où la somme de B+C+D qui totalise 65 % obtient 0. Comme le dira le Pr. Abdoulaye Dieye, « nous retrouvons ici les inconvénients du système majoritaire à un tour qui est brutal et injuste. Il amplifie jusqu’aux extrêmes la victoire du vainqueur et la défaite du vaincu ». A titre d’exemple, pour les élections législatives de 2017, la coalition Benno Bokk Yaakaar avec 49,47 % des voix s’adjuge 95 sièges sur les 105 en compétition au niveau du scrutin majoritaire départemental, les autres listes obtiennent seulement 10 sièges.

A vous entendre, on a l’impression que tout n’est pas mauvais dans le système majoritaire.

Le principal avantage repose d’une part sur sa simplicité et d’autre part sur sa stabilité. Simplicité car, celui qui arrive en tête rafle tous les sièges. Stabilité parce qu’il permet au parti vainqueur d’avoir une assez grande majorité pour gouverner sans le blocage de l’opposition. Il permet au parti dominant au pouvoir de faire passer ses lois comme lettre à la poste et d’éviter la censure.

Qu’en est-il alors des inconvénients du système majoritaire ?

De façon générale, il est reproché au système majoritaire de restreindre la représentativité ou la pluralité politique en ce sens qu’il rend difficile l’émergence, l’expression et la visibilité des partis à faible représentativité au sein de l’Assemblée où le parti majoritaire exerce sa suprématie et grâce à sa majorité qualifiée de « mécanique » dicte sa loi aux autres formations. C’est aussi un système taxé d’inégalitaire ou inique qui favorise assez souvent le maintien du parti au pouvoir, ce dernier possédant généralement une assise nationale et des moyens colossaux Le Sénégal tente, dans le Code électoral qui régit les élections, de traduire les effets des deux modes de scrutin (majoritaire et proportionnel) en adoptant un mode de scrutin mixte à un tour qui combine le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel. Pour reprendre l’expression du Professeur Abdoulaye Dièye, « ce type de scrutin tente de corriger les inconvénients de chacun des deux grands systèmes (brutalité, injustice pour les scrutins majoritaires, inefficacité et risques d’instabilité pour le scrutin proportionnel ». Le mode de scrutin mixte a l’avantage de faciliter au niveau de l’Assemblée nationale ou dans les conseils locaux des majorités stables qui permettent aux exécutifs de pouvoir dérouler leur programme sans risque d’être déstabilisés par l’opposition. La question doit être abordée sous l’angle d’une problématique qui ne saurait être occultée tant elle a fait et continue de faire l’objet de remises en cause par rapport à son caractère «  injuste ou inique ». De manière générale, les partis qui sont dans l’opposition dénoncent ce mode de scrutin mais dès qu’ils accèdent au pouvoir, ils maintiennent le système tel quel. Au-delà des préoccupations du reste légitimes de vouloir compter sur une majorité qualifiée à l’Assemblée, n’est –il pas venu le temps de revoir ce mode de scrutin afin d’avoir une Assemblée réellement forte et représentative des aspirations des populations ?

Que vous inspire la nouvelle réforme adoptée à la veille des Locales du 23 janvier dernier et qui donne une plus grande prégnance au scrutin proportionnel ?

Pour les élections territoriales du 23 janvier 2022, une importante réforme est intervenue qui fait désormais de la tête de liste du scrutin majoritaire le maire ou le président du Conseil départemental. Cependant, pour atténuer un peu l’effet brutal du système majoritaire, une révision a été opérée qui donne une plus grande prégnance au scrutin proportionnel en instituant un rapport de 55 % pour le scrutin proportionnel contre 45 % pour le scrutin majoritaire. Pour l’Assemblée nationale, sur les 165 députés, 105 sont élus au scrutin de liste majoritaire dont 90 au niveau national et 15 au niveau de la diaspora constitué en départements ; les 60 restants sont élus au scrutin de liste proportionnelle communément appelée liste nationale. L’enjeu du contrôle de la majorité reste ainsi de gagner le maximum de départements pour s’assurer une forte majorité. Comme on le voit ici, les effets de l’application du système majoritaire à un tour ont beaucoup plus de conséquences à l’Assemblée nationale où on peut voir un parti minoritaire, avec un score de moins de 50 % des voix, avoir une majorité écrasante du fait du système du « raw gaddu » appliqué au niveau du scrutin majoritaire départemental. Pour corriger cela, deux directions me semblent être assez intéressantes à explorer. D’abord, s’orienter vers un système mixte à deux tours si aucune liste n’atteint la majorité absolue à l’issue du premier tour. Ces listes en compétition pourront nouer des alliances au second tour pour obtenir des élus là où elles sont les plus fortes en échange de report de voix ailleurs en faveur des listes qui se seront désistées. Ceci contribuera à atténuer fortement les effets pervers du « raw gaddu ». Un large débat national doit s’instaurer sur cette question qui est complexe et a des conséquences sur la vie politique du pays.

Nando Cabral GOMIS

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