Analysant le conflit entre la Russie et lâUkraine aux relents Ă©conomiques dĂ©sastreux, les Ă©conomistes et universitaires Mor Gassama et Meissa Babou dressent un tableau sombre pour les mois Ă venir, si la crise perdure
Le conflit armĂ© qui oppose depuis trois semaines dĂ©jĂ deux gĂ©ants du secteur agricole, Ă savoir la Russie et lâUkraine, qui totalisent 29% des exportations mondiales de cĂ©rĂ©ales prĂ©sage des lendemains incertains, principalement pour des pays Ă©mergents comme le SĂ©nĂ©gal. Entre hausse envisagĂ©e des prix des produits importĂ©s (blĂ©, maĂŻs, pĂ©trole, mĂ©taux etc.) et probable inflation galopante, les Ă©conomies Ă revenus intermĂ©diaires sont sur le qui-vive. Analysant ce conflit aux relents Ă©conomiques dĂ©sastreux, des Ă©conomistes et universitaires, Ă savoir Mor Gassama et Meissa Babou, dressent un tableau sombre pour les mois Ă venir, si la crise perdure.
MEISSA BABOU, ECONOMISTE ET ENSEIGNANT A LâUCAD : «Lâimpact sera rĂ©el, aprĂšs lâĂ©puisement du stock»
Le risque de voir certaines entreprises fermer ou rĂ©duire drastiquement leurs effectifs et leurs productions est probable, si la crise Ukrainienne perdure encore. Ce qui ne sera pas sans consĂ©quences dans la «croissance Ă©conomique», a fait savoir lâĂ©conomiste et enseignant Ă lâUniversitĂ© Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, Meissa Babou, analysant la guerre en Ukraine.
La crise Ukrainienne est Ă prendre au sĂ©rieux par tous les Etats, singuliĂšrement ceux dits Ă©mergents comme le SĂ©nĂ©gal. Parce que, si lâon se fie Ă lâanalyse de lâĂ©conomiste et enseignant Ă lâUniversitĂ© Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, Meissa Babou, le pire nâest pas Ă Ă©carter si Vladimir Poutine sâentĂȘte Ă aller jusquâau bout de sa logique. «Nous risquons de vivre une inflation massive et globale parce que tous les secteurs dâactivitĂ©s seront impactĂ©s», a prĂ©venu le Pr Babou. Le nombre de produits venant de lâancienne Union des rĂ©publiques socialistes soviĂ©tiques (Urss) utilisĂ©s dans les secteurs dâactivitĂ©s va «poser un problĂšme dâaccĂšs Ă des matiĂšres miniĂšres et ou agricoles dans le monde», soutient lâĂ©conomiste. A fortiori pour une Ă©conomie comme la nĂŽtre qui est un modĂšle dâimportation. Ce qui veut dire que si les autres souffrent, ils peuvent tout de mĂȘme se contenter dâun avantage de pĂ©trole ou de produits agricoles comme le riz au Burkina Faso. Tout le contraire pour le SĂ©nĂ©gal, pour y faire face.
Pour sâen convaincre, le Pr Babou illustre ses propos par la question du blĂ© et du maĂŻs, «deux produits utilisĂ©s dans la fabrication dâaliments de bĂ©tail». A ce niveau, il y a fort Ă craindre parce que le risque «dâapprovisionner le marchĂ© est tangible», soutient Meissa Babou. Relativement au pĂ©trole dont le baril sâoffre, maintenant sur le marchĂ© international, Ă prĂšs de 130 dollars, il souligne que cela nâaugure rien de bon. Dâailleurs, les prĂ©visionnistes les plus pessimistes y entrevoient jusquâĂ 300 dollars, si la crise se prolonge des semaines encore. Ce qui, sans doute, ne sera pas chose facile pour lâĂ©conomie mondiale. VoilĂ pourquoi, «il faut sâattendre au pire (catastrophe Ă©conomique)», alerte lâĂ©conomiste. MĂȘme probabilitĂ© sur les mĂ©taux venant dâUkraine comme les piĂšces dâavion, les piĂšces de portable, le fer que nous utilisons dans nos constructions, entre autres produits. Il en est de mĂȘme pour les cimentiers qui vont «revoir Ă la hausse les prix du produit parce que le charbon utilisĂ© reprĂ©sente prĂšs de 70% de leur coĂ»t de production», fait savoir lâĂ©conomiste.
«NOUS SERONS VRAIMENT EN PLEINE GUERRE, APRES LâEPUISEMENT DU STOCK»
Quid de la Senelec pour lâalimentation des centrales, voire mĂȘme des consommateurs de produits pĂ©troliers Ă la pompe ? Heureusement, dira-t-il, que «nous roulons actuellement avec des stocks. Mais lâimpact sera mesurable dans un mois et demi, lorsque nous aurons Ă©puisĂ© tout le stock», prĂ©vient lâenseignant Babou. «Nous serons vraiment en pleine guerre, aprĂšs lâĂ©puisement du stock», relĂšve lâĂ©conomiste. Les prix qui sont affichĂ©s aujourdâhui attendent des commandes qui seront livrĂ©es dans un mois. Ce que nous voyons Ă lâextĂ©rieur comme Ă©tant des variations de gauche vont «nous impacter dans un dĂ©lai raisonnable de deux mois», ajoute-t-il. Le pire maintenant, «câest de voir des entreprises Ă lâarrĂȘt», prĂ©dit Pr Babou. Parce que si des produits comme le ciment et le fer augmentent, forcĂ©ment le secteur des Btp (bĂątiments et travaux publics) sera Ă lâarrĂȘt. Par consĂ©quent, un sous-emploi, les pertes dâemplois seront notoires et considĂ©rables. Ce qui, inĂ©luctablement, va se rĂ©percuter sur bon nombre dâactivitĂ©s de la vie Ă©conomique. Câest Ă©galement la mĂȘme chose dans le secteur de lâĂ©levage. Aujourdâhui, lâaliment de bĂ©tail qui coĂ»tait 9000 FCFA est passĂ© Ă 21 000 FCFA. Et si demain, il venait Ă coĂ»ter 30 000 FCFA, voire 35 000 FCFA ? Donc, «il est Ă craindre quâil nây ait plus dâĂ©levage», dresse lâĂ©conomiste. PrĂ©sentement, le poulet qui coĂ»tait 2500 FCFA sâoffre entre 3500 FCFA et 4000 FCFA. SubsĂ©quemment, il nâest pas Ă Ă©carter le risque de voir certaines entreprises fermer ou rĂ©duire drastiquement leurs effectifs et leurs productions. Ce qui, aux yeux de lâĂ©conomiste Meissa Babou, ne sera pas sans consĂ©quence dans la croissance Ă©conomique. Et, pendant ce temps, entrevoit le professeur, «lâEtat sera contraint de contracter des prĂȘts pour faire face Ă ses charges quotidiennes».
MOR GASSAMA, ECONOMISTE ET ENSEIGNANT-CHERCHEUR A LâUCAD : « La vĂ©ritĂ© des prix sâappliquera aprĂšs les LĂ©gislatives »
La hausse des prix sur les produits nâest pas encore trĂšs ressentie parce que le gouvernement a consenti en subventionnant les produits jusquâĂ lâĂ©puisement du stock. Toutefois, prĂ©vient lâĂ©conomiste et enseignant-chercheur Ă lâUcad, Mor Gassama, il nâest pas du tout Ă Ă©carter la vĂ©ritĂ© des prix si la crise Ukrainienne venait Ă perdurer aprĂšs les Ă©lections lĂ©gislatives.
Lâinvasion Russe en Ukraine ne sera pas sans consĂ©quences dans lâĂ©conomie mondiale comme lâillustre bien la posture des institutions de Bretton Woods (Banque mondiale, Fonds monĂ©taire international) qui se mobilisent pour dĂ©bloquer des fonds en urgence. InterrogĂ© sur les incidences Ă©conomiques sur certains secteurs dâactivitĂ©s Ă©conomiques, lâĂ©conomiste et enseignant-chercheur Ă lâUniversitĂ© Cheikh Anta Diop de Dakar, Mor Gassama, est dâavis que « la flambĂ©e des prix du baril du pĂ©trole, du blĂ© et du maĂŻs due Ă la crise ukrainienne va incontestablement impacter la structuration des prix de certains produits comme le carburant et le pain chez nous ».
A en croire lâĂ©conomiste : « Avec le stock disponible (1mois et demi Ă 2 mois), le gouvernement parvient encore Ă maintenir les prix ». Mais si la situation perdure encore jusquâaprĂšs « lâĂ©puisement du stock, il serait difficile de vendre au mĂȘme prix sauf Ă la condition que lâEtat dĂ©cide de subventionner davantage ». Convaincu de la logique du marchĂ©, il laisse entendre quâil nâest pas Ă Ă©carter « une tension sur les prix ». Et sous ce rapport, fait-il savoir : « Lâon est sensĂ© suivre lâĂ©volution ». Toutefois, malgrĂ© cette incidence, il relĂšve que les pouvoirs publics disposent de ressort de matelas pour limiter ou alors minimiser les insoutenables assauts de lâĂ©conomie. « Il se trouve que les pouvoirs publics disposent de leviers Ă©conomiques pour retarder voire les bloquer surtout en cette pĂ©riode prĂ©-Ă©lectorale », avance lâĂ©conomiste. PersuadĂ© que les tenants du pouvoir mesurent bien que toute dĂ©cision sociale Ă fort impact Ă©conomique ne leur ferait que du bien politiquement, il admet que « Câest trĂšs difficile, voire suicidaire du moins pour un Etat dâaugmenter ou de revoir les prix Ă la hausse Ă la veille des Ă©lections lĂ©gislatives ». Câest pourquoi, dans ce cas de figure, lâEtat serait plus enclin à « fournir des efforts exceptionnels pour contenir toute sorte de hausse », croit-il savoir. Et ce, entendant quâon dĂ©passe les Ă©lections afin dâappliquer « la rĂ©alitĂ© des prix ».
Jean Pierre MALOUÂ