Toutes les nations ont traversé des nuits profondes, des orages qui semblaient sans fin. Mais la grandeur d’un pays ne se mesure pas au nombre de tempêtes qu’il subit. Elle s’évalue à la force avec laquelle ses enfants se tiennent debout, soudés derrière leurs dirigeants, pour affronter l’épreuve. Dignement. Collectivement.
Lors d’un récent séjour en Corée du Sud, dans le cadre du KF Invitation Program of Distinguished Guests, j’ai pu constater de mes propres yeux qu’aucune fatalité n’est irréversible. Un peuple peut sombrer, ployer sous le poids des guerres et des crises, puis se relever, plus fort encore. L’histoire coréenne ressemble, par certains aspects, à la nôtre. Elle est une leçon de résilience.
Imaginez un pays au relief tourmenté, presque dépourvu de ressources naturelles, secoué par des invasions répétées au fil des siècles.
Entre 1950 et 1953, trois millions de Sud-Coréens périrent dans une guerre fratricide contre le Nord. À l’issue du conflit, la Corée du Sud figurait parmi les pays les plus pauvres du monde. Mais, portée par une confiance inébranlable en ses ressources humaines, elle fit des bonds économiques spectaculaires : en 1973, son taux de croissance atteignait 18 %.
Puis vint 1997. La crise asiatique frappa de plein fouet une économie qui avait cru trouver son rythme de croisière. Au bord de la faillite, la Corée dut faire face à une dette de 58 milliards de dollars, assortie des conditions draconiennes du FMI. Alors, un geste incroyable advint. Dans un sursaut patriotique, le gouvernement lança la campagne nationale de collecte d’or (Korea gold-collecting campaign). Des millions de citoyens, bouleversés mais fiers, se pressèrent devant les guichets bancaires. Ils offrirent leurs alliances, leurs bracelets, leurs bijoux de famille. En quelques semaines, 220 tonnes d’or furent réunies, représentant près de 3 milliards de dollars.
Le pays remboursa sa dette avant l’échéance prévue, et trois ans plus tard, l’économie coréenne reprenait sa marche en avant.
Cette scène, presque biblique, nous enseigne qu’un peuple, lorsqu’il s’unit autour d’un objectif commun, peut déplacer des montagnes.
Aujourd’hui, le Sénégal se trouve à son tour dans un moment décisif. Les nouvelles autorités ont hérité d’une situation économique fragilisée par des années de gestion hasardeuse. Les caisses de l’État sont mises à rude épreuve. Mais plutôt que de se résigner ou de tendre la main à l’infini, le gouvernement a choisi une autre voie : celle de la mobilisation de nos propres forces.
Depuis un an, deux appels publics à l’épargne ont déjà rencontré un succès retentissant.
Le troisième, prévu pour le 18 septembre, prend une dimension particulière : il s’ouvre aux Sénégalais de la diaspora, invités à souscrire aux Diaspora Bonds.
Dans son discours vibrant de Monza, le Premier ministre Ousmane Sonko a lancé cet appel, non seulement comme une opération financière, mais comme un acte de foi patriotique. Les conditions sont claires : des taux d’intérêt compétitifs, de 6,40 à 6,95 %, selon la durée de souscription. Mais au-delà des chiffres, il s’agit d’un contrat moral entre la Nation et ses enfants, où qu’ils vivent.
Ces obligations ne sont pas de simples titres de dette. Elles sont un symbole : celui de la dignité retrouvée d’un peuple qui choisit de se financer par lui-même, qui refuse de se laisser enfermer dans les griffes de l’assistance permanente. Comme la Corée en 1997, le Sénégal appelle ses fils et ses filles à tendre la main, non pas pour recevoir, mais pour construire ensemble.
L’exemple coréen, comme ceux d’autres nations d’Asie ou du Golfe, montre qu’aucun horizon n’est fermé. Ce qui paraît insurmontable devient possible quand l’orgueil national s’allie à la solidarité. Et c’est bien ce que veut démontrer le Sénégal : qu’au-delà des discours, il existe une voie d’émancipation par l’épargne nationale et la confiance collective.
Il y aura des sceptiques, des résignés, des impatients. Mais l’histoire enseigne que ce ne sont pas eux qui bâtissent les nations. Celles-ci se construisent avec la patience de ceux qui sèment aujourd’hui, même quand les fruits ne sont pas immédiats.
Les Diaspora Bonds ne sont pas une promesse en l’air ; ils sont la première pierre d’un édifice où chaque Sénégalais, de Dakar à Paris, de Thiès à New York, peut inscrire son nom.
Un peuple qui sait s’unir autour de ses propres forces n’a pas de limites. Le Sénégal, aujourd’hui, nous invite à en faire la démonstration.
Par Lamine NIANG, DG de la SSPP-LE SOLEIL