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samedi, avril 20, 2024
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Conjoncture économique, l’État dans l’engrenage  

par pierre Dieme

Face à l’intensification des pressions inflationnistes et les interrogations autour de la crise ukrainienne, le président de la République, Macky Sall, s’appuie sur le levier des subventions pour maintenir la stabilité des prix des denrées de première nécessité. Des compromis difficiles à maintenir, si la crise ukrainienne perdure, selon des économistes. 

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Le Sénégal n’échappe pas aux réalités du marché mondial. L’augmentation des prix des hydrocarbures et des produits alimentaires a nourri l’inflation dans beaucoup de pays à travers le monde. Aujourd’hui, avec la crise ukrainienne, il est fort probable que les prix des produits alimentaires de base continueront de grimper. L’économie sénégalaise fortement impactée par la pandémie de Covid-19, en plus de l’ampleur des pressions inflationnistes liées à la crise ukrainienne, ont fini de peser sur le panier de la ménagère. Pour soulager les ménages, l’Etat avait pris des mesures en réponse à l’augmentation des prix. Rappelant son souci permanent de soulager durablement les Sénégalais face à la hausse des denrées de première nécessité, le président Macky Sall avait décidé, lors du Conseil des ministres du 24 février 2022, de baisser les prix de l’huile, du riz et du sucre. «Ces importantes mesures, au bénéfice des populations, auront un impact aussi bien au niveau de la mobilisation des recettes qu’au niveau budgétaire pour un montant global annuel de près de 50 milliards FCfa», avait fait savoir le chef de l’Etat. 

Aujourd’hui, si l’Etat tente de contrôler les prix pour essayer de maintenir la pression sociale, les institutions internationales, comme le Fonds monétaire international (Fmi), pressent pour une réduction des subventions des produits énergétiques. Dans un rapport de décembre 2021, le Fmi recommandait au Gouvernement d’assurer la transparence et l’efficacité des mesures budgétaires pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19 et aux prix élevés des produits de base. Au Sénégal, en 2020, le déficit de la balance du commerce des biens et services était de 17,2 % du Pib. En 2021, il est estimé à 17,8 %. Et celui du budget est estimé à 6,3 % du Pib en 2021. Pour respecter les leviers de la bonne gouvernance, les services du Fmi avaient recommandé de maintenir le déficit budgétaire à 4,5 % du Pib ou moins en 2022 et de le rapprocher de 3 % du Pib dès 2023.

«Les limites des marges de manœuvre budgétaire de l’Etat»

L’économiste El Hadji Mansour Samb signale que le Sénégal fait face à une inflation importée et personne ne sait jusqu’où cela peut aller. Après la pandémie de Covid-19, l’économiste soutient que les crises vont continuer. «Aujourd’hui, la Russie a envahi l’Ukraine, demain la Chine peut attaquer Taïwan, au Moyen Orient, l’Iran est en train d’attaquer des positions israéliennes. Donc, pour un pays comme le Sénégal avec l’inflation importée, la vérité des prix va s’appliquer tôt ou tard», estime-t-il. Seulement, M. Samb rappelle que l’Etat a deux marges de manœuvre pour jouer sur la stabilité des prix. Il explique : «Dans un budget, il y a ce qu’on appelle les réserves budgétaires. A chaque fois qu’il y a des imprévus, l’Etat puise sur ses réserves budgétaires pour assurer les subventions. L’Etat peut aussi s’appuyer sur les dépenses d’investissements. Dans un budget, il y a les dépenses de fonctionnement, les dépenses courantes et les dépenses d’investissement. Comme les dépenses courantes et de fonctionnement sont très sensibles, l’Etat va puiser sur les dépenses d’investissement. Mais si cette crise perdure, elle peut éclater la dette intérieure. Car si les dépenses montent, l’Etat va s’orienter sur les subventions en disant aux fournisseurs qu’il faut attendre parce qu’il y a des urgences qui sont là. L’Etat sera obligé de reporter des dépenses d’investissement. Et la principale conséquence c’est que la prévision d’une croissance de 5 % attendue à 2022 ne sera pas atteinte. Il faut s’attendre à une croissance qui va tourner autour de 2 à 3 %.» Toutefois, l’économiste précise que l’Etat va continuer à manœuvrer encore parce que d’après lui, d’ici les élections Législatives du 31 juillet 2022, le Gouvernement n’acceptera pas qu’il y ait une hausse des prix. «Le président Macky Sall ne prendra pas le risque d’augmenter les prix d’ici les législatives. Mais avec l’inflation importée, la vérité des prix va s’appliquer», confie El Hadji Mansour Samb. 

«Il y a un engrenage autour de l’Etat qui va bouleverser les prévisions économiques»

Pour son collègue, Meïssa Babou, il y a un engrenage autour de l’Etat du Sénégal. Et cette situation aura forcément une répercussion sur les prévisions de la croissance économique du pays. D’après l’enseignant-chercheur à la Faculté des sciences économiques et de gestion (Faseg) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), le Sénégal avait tablé sur un prix du baril autour de 75 dollars Us (environ 41 755 FCfa) et aujourd’hui, il est à plus de 100 dollars Us (59 650 FCfa). «C’est l’Etat qui va payer forcément la différence pour maintenir les prix à la pompe. Il y a des efforts qui sont consentis pour maintenir les prix, mais pour cela, il faut faire des remboursements. Donc, dans tous les cas, il y aura des pertes de recettes. Maintenant si nous devons faire face à une nouvelle flambée des prix, comment l’Etat va faire par rapport aux leviers de la bonne gouvernance ?», se demande Meïssa Babou. Avec la crise sanitaire de la pandémie de Covid-19, Meïssa Babou fait comprendre que l’inflation ne concernait que quelques produits. Mais avec cette crise ukrainienne, aucun produit n’est épargné et aujourd’hui, c’est près d’un tiers de l’offre mondiale qu’on perd. Meïssa Babou : «Fatalement, l’assiette d’inflation qu’on aura, je ne crois pas qu’un Etat puisse supporter cela au risque de mettre tout son budget dedans, de ne pas pouvoir payer les salaires ou le service de la dette. C’est une situation qu’on va vivre dans les prochains mois en attendant de consommer les réserves locales». L’économiste signale que ce sera difficile pour l’Etat parce que s’il renonce à des taxes, il perd forcément des recettes et le budget prévisionnel sera faussé. Ensuite, explique-t-il, «l’Etat n’avait rien prévu comme subvention fraîche pour sortir de l’argent. Il va dire aux meuniers, donnez moi le tonnage, je vais vous rembourser. Le dire aussi aux cimentiers, à celui qui produit le sucre et même aux importateurs. Comment l’Etat peut-il avoir les moyens d’une masse d’argent colossale sans affecter les équilibres macro-économiques ?». Meïssa Babou est catégorique : «Les équilibres macro-économiques seront affectés immanquablement.» Et si les équilibres macro-économiques sont affectés, Meïssa Babou indique que les prévisions de la croissance seront faussées et le niveau d’endettement du Sénégal risque de flamber. «La pauvreté va s’accentuer. La crise ukrainienne est un imprévu qui va bouleverser toutes les prévisions», avertit l’économiste.

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