Mary Teuw Niane : « Il y a ce sentiment que la france veut nous contrôler »

par pierre Dieme

Pour l’ancien ministre de l’Éducation nationale et candidat à la mairie de Saint-Louis, le Sénégal doit se réapproprier son histoire, mais aussi son économie, pour que les nouvelles générations puissent s’ancrer dans leur propre réalité. 

Vous militez pour débaptiser le pont Faidherbe et retirer la statue qui l’honore dans votre ville. Pourquoi ?

 Je pense qu’il faut retirer cette statue et, pour des questions de mémoire, la déplacer vers le Centre de documentation et de recherche du Sénégal (CRDS). Mais la faire trôner à Saint-Louis sur la place qui portait son nom, ça n’est pas une bonne chose. Ceux qui défendent la colonisation peuvent le dire et en faire un élément d’argument, mais Faidherbe a massacré beaucoup de monde. Tout pays glorifie ses propres héros. À Saint-Louis, nous pourrions par exemple honorer El Hadj Oumar Foutiyou Tall, qui a combattu Faidherbe. Il nous faut aussi rebaptiser certaines grandes artères de la capitale et de nombreux édifices publics pour que nos héros nationaux ou africains puissent se refléter dans le quotidien que nous vivons.Je ne m’inscris pas dans cette fièvre anti-française, mais il faut bien comprendre que nous sommes à un tournant. La jeunesse africaine ne se reconnaît pas dans la manière dont nos pays sont gouvernés. Il faut rétablir la fierté nationale et la confiance dans ce que nous sommes. Cette jeunesse doit pouvoir rêver en étant chez elle, et vous ne pouvez pas rêver avec des modèles extérieurs. Faidherbe ne fait pas rêver les habitants de Saint-Louis.

Comment expliquez-vous cette montée du sentiment anti-français, pas seulement au Sénégal mais dans toute l’Afrique de l’Ouest ?

Lorsque j’étais ministre de l’Éducation nationale, je l’avais dit à l’ambassadeur de France, Christophe Bigot : la France doit soigner son image car les jeunes ne l’aiment plus. C’est lié à de nombreux facteurs objectifs et subjectifs. D’abord, il y a ce sentiment répandu, y compris chez les cadres de l’establishment, que la France n’est pas là pour nous aider à nous développer, mais pour contrôler notre rythme de développement. Ensuite, le système capitaliste entraîne un sentiment de dépossession, lorsque vous avez des grandes entreprises – même si les capitaux peuvent être en réalité détenus majoritairement par des Sénégalais – qui sont des sociétés fondées et installées par des Occidentaux. Les entreprises de télécom, de distribution d’eau, d’électricité, doivent rester des sociétés nationales.

La jeunesse observe également la différence entre les pays anglophones et francophones. Que ce soit au niveau du PIB ou du développement, nous sommes à la traîne. Les pays anglophones, aussi petits qu’ils soient, ont leur propre monnaie. La France n’a pas fait sa révolution et la critique de sa coopération avec ses anciennes colonies. C’est un phénomène qui en réalité touche toute la classe politique française, de droite comme de gauche.

Avez-vous des exemples de cette « arrogance » française ?

 Prenez l’attitude des élites françaises au début de la crise du Covid. Les choix faits ici par nos médecins pour gérer la pandémie (le Sénégal a été salué pour son excellente gestion de l’épidémie – NDLR) ont été tournés en dérision par toutes les télévisions européennes et françaises. Avant que les responsables politiques ne finissent par adopter les mêmes mesures que nous, qu’il s’agisse du confinement ou du couvre-feu. Je crois qu’il y a derrière cette condescendance des schémas de pensée hérités de la colonisation. L’affaiblissement du Parti communiste comme des mouvements de gauche et la montée de l’extrême droite, qu’il s’agisse de Marine Le Pen ou Éric Zemmour, favorisent le maintien de cette arrogance et l’incompréhension de ce qui se passe actuellement en Afrique. 

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