Avec Condé, la démocratie guinéenne piégée

par Dakar Matin

Wade un opposant au pouvoir, l’alternance piégée. Vous vous souvenez certainement du livre de Abdoulatif Coulibaly pendant le chaud été 2004. Le seul livre dans notre histoire à avoir fait tomber un gouvernement, à l’image du Watergate qui a fait tomber Richard Nixon. Je vous parle de ce livre parce que son titre, avec quelques petites modifications, s’applique à merveille à Alpha Condé, et on aurait «Condé, un opposant au pouvoir, la Guinée piégée». Avec Condé au pouvoir, ce n’est pas seulement l’alternance qui est piégée, mais la Guinée. Condé qui est de la même génération que Wade en a tous les défauts sans avoir la plus grande qualité de Wade : la démesure ou l’Hubris des Grecs.

Cette démesure qui faisait que Wade était ambitieux pour lui-même et pour son pays ; d’où sa hantise de sa place dans l’histoire et cette obsession de laisser sa trace et sa marque dans le béton et le goudron. Par contre, Condé n’a pas jamais eu d’ambition pour son pays, mais a toujours eu une immense ambition pour sa personne. Celle-ci, qui fait que l’on se croit homme providentiel, à la limite irremplaçable ; d’où cette quête du 3e mandat, et peut-être même d’un quatrième. Condé n’a pas les qualités de Wade qui ont permis de poser les jalons de l’Emergence au Sénégal, mais en a par contre les défauts, dont le plus grand est cette gouvernance anachronique des années 1960-1970, avec les Présidents à vie, alors que nous avons changé de génération et même de siècle.

Le Sénégal est sorti démocratiquement du piège du 3e mandat de Wade, grâce à deux facteurs qui manquent cruellement à la Guinée : un Etat solide, tellement solide que le système y est devenu plus fort que les acteurs, et surtout une société détribalisée et «déséthnicisée». La Guinée, par contre, a un Etat très fragile à cause du clivage ethnique entretenu et attisé par des politiciens entrepreneurs identitaires. Si Cellou Dalein gagne cette année, c’est parce qu’il sera sorti du piège identitaire dans lequel l’avaient enfermé ses partisans et Alpha Condé en 2010 en le faisant apparaître plus comme un chef de clan plutôt qu’un futur chef d’Etat. Condé a gagné en 2010 en instrumentalisant la peur d’une double hégémonie peule (économique et politique) et Cellou Diallo, qui était en plein péché d’orgueil, n’avait rien fait pour déconstruire cette peur. Résultat : Condé transforma le 2e tour en un Référendum sur l’hégémonie peule et gagna les élections.

Dix ans après, Cellou semble avoir tiré les leçons de 2010 et les Guinéens ont pu se rendre compte que le clivage ethnique est un instrument politicien des entrepreneurs identitaires. Si la Guinée, qui était l’avant-garde du continent avec le Ghana, en est devenue l’arrière-garde, c’est en grande partie par la faute de ses dirigeants. Sékou Touré, paranoïaque comme Staline, cherchait des complots partout. S’il n’en trouvait pas, il les créait. Le Général Lansana Conté fut un accident, mais aussi une longue parenthèse d’immobilisme avant l’intermède du Dadis Show, qui annonça le film Condé qui, comme les mauvais films, sont interminables. Comme si dix ans de pouvoir ne suffisaient pas pour changer la face d’un pays. Il est en quête d’un troisième mandat qui est toujours un mandat proustien, car étant toujours consacré «à la recherche du temps perdu».

PAR OUMY LY – (CORRESPONDANTE) 

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