Moussa Diaw :«à l’APR, il n’y a aucune idéologie permettant de cristaliser les mobilisations»

par Dakar Matin

Suite à l’exclusion de Moustapha Cissé Lo, «L’AS» a contacté l’Enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw, pour comprendre ces frictions au sein du parti présidentiel. Monsieur Diaw a ainsi indiqué qu’il n’y a aucune idéologie à l’APR, aucune référence permettant de cristalliser les mobilisations.

«L’AS» : Deux caciques de l’APR, Moustapha Diakhaté et depuis hier Moustapha Cissé Lo ont été exclus par les leurs. Cela n’annonce-t-il pas la fin d’un cycle politique pour le parti présidentiel ?

Moussa DIAW : Je n’irais pas jusque-là. Mais cela traduit un malaise à l’intérieur du parti. Ce qui est symptomatique de rivalités entre les différents leaders, des ambitions contradictoires et les enjeux de pouvoir, compte tenu de la situation et les possibilités d’accéder à des positions leur permettant d’accéder à des ressources. Mais cela augure quand-même un avenir incertain. Parce qu’on sait que c’est un parti relativement jeune qui n’a pas été structuré. Le Président Macky Sall n’a pas eu de temps d’organiser son parti, d’organiser un congrès et de structurer les instances. C’est pourquoi on assiste à une situation de conflictualité à l’intérieur du parti, de dénigrement. Parce que c’est un parti qui rassemble des personnalités venant d’horizons divers. C’est un agrégat d’individus qui sont mus par des intérêts politiciens. Ils ont une conception de la politique qui est celle de penser qu’on va s’enrichir ou qu’on peut avoir une consécration sociale et économique à travers une activité politique. C’est un parti qui redistribue des postes et également des ressources. Ce qui crée des tensions, des rivalités, des positionnements des uns et des autres. Et c’est dans cette guerre-là qu’apparaît justement le cas Moustapha Cissé Lo avec ses dérives verbales, son francparler et son tempérament difficile à maîtriser. Cette situation-là est aussi favorisée par le fait que le Président cumule les fonctions de président de la République et de chef de parti. Ce qui le met en première ligne parce que généralement d’ailleurs, cette position-là est souvent critiquée parce qu’on pense que quand on est président de la République, on joue le rôle d’arbitre. Donc, le parti n’a pas de numéro 1 ni de numéro 2. Et c’est ce qui explique d’ailleurs qu’il y ait des conflits de positionnement entre les leaders dans certains départements. Et aujourd’hui, normalement, c’est le dernier mandat du président de la République et cela va aiguiser les appétits des uns et des autres et va renforcer les dissensions au sein de l’APR.

Est-ce que ces dérives ver- bales ne traduisent pas une déliquescence des mœurs po- litiques au Sénégal ?

Oui tout à fait. Cette légèreté dans les propos etle vocabulaire utilisé traduit un manque de considération par rapport à la fonction et par rapport même à des gens qu’on a élus. Et cela traduit aussi le fait que le recrutement se fait n’importe comment. Ce sont des personnalités qui n’ont aucune compétence et qui sont dans ces positions parce qu’ils soutiennent une personne. Donc, ils ne sont pas mus par l’attachement à une idéologie, à des valeurs morales, et à une éthique. A l’APR, il n’y a aucune idéologie, aucune référence permettant de cristalliser les mobilisations autour de cet enjeu-là. Ce qui fait que les gens viennent de façon volontaire rien que pour accéder à des positions de pouvoir. Et ceux qui sont aujourd’hui concernés malheureusement par ce discours-là, cette violence verbale, sont dans le même cas. S’il y avait une unité autour d’un projet, d’une idéologie, on aurait dépassé ces contradictions de personnes. Parce que ce qui les lie serait plus fort que ce qui les différencie. Mais on n’assiste pas à cela aujourd’hui malheureusement. On influence et on est dans des réseaux pour se rapprocher du leader pour pouvoir obtenir des positions. Lesquelles positions contribuent justement à leur ascension sociale et économique de par leur proximité du pouvoir. Donc, c’est ça la conception qu’on a au sein de ces formations. Dans les vraies démocraties, on s’engage politiquement pour soutenir les positions du leader pour avoir un sens élevé de l’Etat, de la responsabilité et être au service des citoyens. Mais si on regarde ce qui passe actuellement, il est évident que les citoyens sont désabusés. Ces gens ternissent l’image des hommes politiques. En effet, dans un contexte particulier de lutte contre la pandémie, on note la guéguerre au sein du parti présidentiel pour des histoires de positionnement ou de redistribution de ressources ou de rivalités de personnes.

Au-delà des insultes, Moustapha Cissé Lo a fait des révélations de taille sur la gouvernance et la gestion de certains projets. Ne devrait-il pas y avoir une auto saisine du Procureur pour éclairer certaines choses ?

Normalement, c’est ce qui devrait se faire dans un Etat où il y a une vraie séparation des pouvoirs. Mais généralement ici, malheureusement, le Procureur agit sur instruction. Il y a une confusion des rôles. Et il n’y a pas une vraie séparation des pouvoirs dans sa pratique. C’est l’Exécutif qui influence le Judicaire. Et c’est un peu problématique, dans ce cas précis, qu’il y ait une auto saisine du procureur de la République. Peut-être que cela pourrait se faire. Mais en temps normal, dans un Etat démocratique, quand on tient ces propos, le lendemain, vous êtes convoqués par la Justice pour en savoir davantage sur ce que vous dites, la véracité des propos et les preuves pour faire de telles allégations. Mais ici, on est dans un contexte où la séparation des pouvoirs est un peu difficile à réaliser. Et il est très rare qu’il y ait cette saisine de la Justice pour pouvoir tirer au clair les propos de Moustapha Cissé Lo. Mais peut-être que cela pourrait se faire. On ne sait jamais. De toute façon, on verra quelles sont les positions des uns et des autres ; est-ce qu’il y a vraiment une volonté de clarifier les choses et d’éviter de telles exagérations, de telles dérives verbales qui n’augurent pas un bon avenir du politique dans ces formations. Tout dépendra de la volonté des uns et des autres, soit de clarifier le jeu, soit de tourner la page et de penser à autre chose.

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